Jupe plissée et chaussettes : Quand la guerre rationne le fil et en donne à retordre !

Merveilleuses et merveilleux

On pourrait se demander pourquoi j'écris sur des sujets aussi futiles que les chaussettes, la mode ou les petits-maîtres, à une époque contemporaine marquée quotidiennement par la folie générale, qui mériterait peut-être que l'on se penche sur des sujets plus sérieux. Autrefois, et plus particulièrement au Moyen Âge, les apothicaires conservaient les médecines dans des boîtes en bois sur lesquelles étaient peints des sujets colorés et fantaisistes, d'une grande gaieté, légèreté, singularité, voire bizarrerie... complètement hors normes, sur lesquelles l'intelligence et l'entendement ne pouvaient 's’agripper'. Pourtant, ces récipients contenaient des herbes, résines et autres produits et préparations guérissant... très sérieux dirons-nous... Les sujets de mon blog sont gais, joyeux, étranges aussi... superficiels, colorés...

Mais retombons sur nos pieds, et revenons-en au sujet de cet article : Pendant la seconde guerre mondiale, tout manque… en particulier dans les villes où tout est rationné. Même trouver des bas est difficile. On se fabrique soi-même des vêtements avec moins de tissu. Les jeunes femmes portent des jupes simples, plissées et s’arrêtant aux genoux. Leurs jambes sont nues, ou avec une paire de chaussettes tombantes sur des chaussures à grosse semelle de bois ou de liège, quand elles n’en portent pas de plus grossières ou de simples sandales. Certaines se maquillent les jambes afin de faire croire à des bas. Les robes ou les chemisiers ont des épaulettes et s’ouvrent généralement sur le devant par des boutons. Les vestes ont de larges épaules et sont ceinturées. Les coiffures sont crantées, élevées en chignon et se dispersant sur les épaules en boucles. Toutes sortes de hauts turbans leur donnent encore davantage de volume.

Merveilleuses et merveilleux

La tenue jupe plissée et chaussettes marque aussi la fin du chic à la française. La Révolution de 1789, les suivantes, la guerre de 1870 et les deux guerres mondiales mettent à mal ce pays, sa culture et l’élégance.

Merveilleuses et merveilleux
Merveilleuses et merveilleux

Chez les hommes, au contraire, la mode vestimentaire est au large ! Mais la simplicité est présente. Le faux-col disparaît, remplacé par un col de chemise, parfois même ouvert et alors sans cravate. Le gilet est beaucoup moins fréquent qu’auparavant. La taille du pantalon est haute et le tombé droit.

Chez les deux sexes, le costume est souvent coupé dans un même tissu. On réemploie largement ; rien n’est gaspillé. Ceci est vrai jusqu’au milieu du XXe siècle et la dominance du prêt-à-porter. C’est une des raisons pour laquelle il nous reste très peu de vêtements antérieurs au XIXe siècle.

Merveilleuses et merveilleux

Ci-dessous : On note la coupe du Monsieur, ramassée en boucles sur un côté du haut du crâne, comme c’est la mode alors chez certains hommes.

Merveilleuses et merveilleux

Ci-dessous : « Consommations du jour. – Garçon ! Deux soucoupes ! » Signé « Vichy – 43 J. SENNEP ». Autrefois, dans les cafés, chaque verre avait sa soucoupe, et on payait en fonction du nombre de soucoupes. Pendant la guerre, tout est rationné. L’humoriste montre ici que même les boissons manquent. La zazou est ici blême, famélique.

Merveilleuses et merveilleux

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La liberté

J’ai déjà traité de la liberté à la fin de l’article sur le souffle. Mais cette notion est tellement importante dans le gandisme qu’elle mérite que l’on se penche un peu plus sur elle.

D’abord, il me faut répéter que, selon moi, la mode est un apprentissage de la liberté. Comme son nom l’indique, elle est une manière, une façon (une fashion comme le disent les Anglais, mot venant de l'ancien français façon)… et chacun a la sienne. Les jeunes sont les premiers à chercher et suivre de nouvelles modes qui les démarquent des ‘anciennes’, et surtout qui les rendent plus autonomes, eux-mêmes, libres… même si c’est souvent en suivant ce qui est nouveau… Il ne faut pas oublier le besoin d’identification de beaucoup. Comme le dit le dicton : « Dis-moi qui tu hantes et je te dirai qui tu es. » Parfois leur démarcation consiste à refuser la mode… Ils généralisent, car ce qu’ils repoussent ce sont les rythmes dominateurs, comme actuellement les modes apportées par l’industrie mondialisée et sa politique… Personne ne peut échapper à une mode, la sienne, son propre mode de vie, les propres rythmes qui constituent la personne même et dans lesquels se trouvent obligatoirement du mimétisme. Par exemple, les autonomes sont très loin d’être des modeux, pourtant leur mode de vie est non seulement un mode, mais devenue une mode dans la mesure où il est de plus en plus suivi. Surtout, il y a derrière cela une véritable vision de l’avenir. La mode c’est aussi cela… non pas une vision guidée par l’industrie, la politique ou autres, mais une véritable conscience du présent et du futur. Les gandins sont souvent en dehors de la mode dominante ou en avance sur elle… Ils ne savent pas faire autrement… Il faut qu’ils créent et se sentent libres.

Aimer ? Détester ? Qu’importe ! Tout n’est que mode de voir, une mode ou un mode qui passe.

De nos jours, nous sommes très loin d’être dans un monde libre. Prenons l’exemple d’Internet : Les utilisateurs y sont fichés : leurs habitudes, préférences… leurs données vendues et leurs choix guidés. Cela est d'autant plus vrai pour les réseaux sociaux et la téléphonie mobile, cette dernière étant un véritable fléau sanitaire et environnemental, qui ne fait que croître, maintenant avec la 5G. Cela fait depuis 2007 que j’écris dans ce blog. D’expérience, je me suis rendu compte que les productions ‘indépendantes’ sur le Net sont volontairement maintenues dans un schéma de diffusion minimum par les moteurs de recherche de Big Brother. Une unique vision du monde est proposée et propagée. Même des sites comme Wikipédia véhiculent une doxa très éloignée de l'esprit encyclopédique dont ce dernier se réfère. C’est tout à fait ahurissant l’état de monopole et de monopolisation dans lequel nous évoluons, et qui touche tous les domaines de nos vies. Non seulement les voix ‘dissidentes’ sont maintenues sous une chape de mutisme, mais celles qui arrivent à sortir du lot sont implacablement persécutées. Prenons l’exemple des gilets jaunes : Les peines que le gouvernement français inflige aux plus vindicatifs d’entre eux sont sans commune mesure avec celles données à certains grands escrocs. Alors que pour ces derniers certains se retrouvent avec de simples peines avec sursis, les gilets jaunes condamnés à de la prison ferme sont très nombreux depuis le début des manifestations de ceux-ci, sans compter les intimidations multiples : violences organisées par le gouvernement (le nom même de black bloc montre qu’il s’agit d’une organisation rapportée), fichage, mesures de décrédibilisation, gardes à vue, amendes, etc. Prenons comme autre exemple celui de Julian Assange, un dissident emblématique que les gouvernements français n’ont jamais voulu soutenir : Il est actuellement emprisonné, isolé et torturé psychologiquement. Cela se passe aujourd’hui en Occident, comme on le fait dans les dictatures décriées pourtant par ces mêmes gouvernants qui s’accoquinent avec sans vergogne. Il suffit de sortir dans la rue pour voir dans quel état sont maintenus des pays comme la France… dans des états liberticides dignes de pays du tiers-monde sous dictature !

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De l’amour chez les petits-maîtres

Les Petits-maîtres de la Mode

Cette petite maîtresse qui consulte ses charmes, comme le dit la légende de cette gravure, s’habille-t-elle ou se déshabille-t-elle ? Sans doute se déshabille-t-elle, car sa coiffure est encore toute mise. Au sujet de cette dernière, avec une sorte de toupet au-dessus du front, elle rappelle une mode qui perdure pendant des millénaires, depuis les petites-maîtresses de l'Antiquité, avec la lampadion grecque et la lampadium romaine (voir mon second livre sur Les Petits-maîtres du style), en passant par les débuts de la coiffure à la Fontanges de la fin du XVIIe siècle.

Jacques Peletier (1517 – 1582 ou 1583) écrit au début de son Art poétique (1555) : « Qui voudra prendre garde, Seigneur Gaudart [je rappelle qu’en ancien français le verbe gaudir signifie « se réjouir »], aux desseins et affaires des hommes : il trouvera que tout est accompagné d’une certaine volupté : sans laquelle nous serions tous errants et incertains en nos délibérations [examens de conscience] et entreprises [actions]. Même ès [dans les] choses les plus difficiles et laborieuses : la volupté, ou comme j’ai de coutume de parler, l’amour y est inséparable. »

Cette « délectation » (mot employé dans le texte à la suite de cette citation), cette « volupté », cet « amour », cette intelligence de la vie, cet esprit qui se réjouit et jouit de tout, cela était très présent dans la culture française, mais a presque disparu. Cet amour-là n’est pas que le fait d’aimer une autre personne, il est présent en tout. Il vient, il me semble, surtout de soi-même, mais l'inspiration 'extérieure' est toujours nécessaire.

Cet amour fait la douceur de vivre, fait que les paysages sont beaux, que le repas est bon, que le gîte est accueillant, etc., que tout est à sa place et délectable ! Il est à la base de l'élégance même !

L’amour est un sujet important de la culture française. Elle en offre le camaïeu complet, tous les dégradés, depuis le plus mystique jusqu'au plus charnel. A partir du XIIe siècle, les poètes de la fine amore établissent le lien entre ces deux 'extrêmes' et créent un courant, « art de cour » (« courtoisie »), présent durant tout l'Ancien Régime, bien que se muant au XVIIe siècle en galanterie. J'évoque le domaine de la courtoisie dans l'article sur La bona maneira.

Ce n'est pas pour rien que Jacques Peletier parle d'amour au début de son Art poétique. En amour, quel-qu’il soit, le rythme a une grande importance. Rien n'échappe au rythme, puisque le mouvement est à la base de toutes vies, et même créateur de vie.

Le Moyen Âge a étudié les rythmes avec passion. Dans la spiritualité, ils sont un moyen d'accéder à Dieu et à l'harmonie divine, celle que conte Platon à travers sa musique des sphères beaucoup étudiée durant toute l'Antiquité et toute la période médiévale, les sirènes (chacune représentant une sphère céleste) étant souvent remplacées par des muses puis des anges !

L'univers courtois puise ses rythmes dans la terre même et sa danse amoureuse. Comme dans la religion, le fin amant cherche l'harmonie, la symphonie sublime, en empreigne son âme qu'il affine. Je ne devrais pas dire « cherche » mais « trouve », car c'est un trouveur : un trouvère (de langue d'Oïl, un troubadour en langue d'Oc, mot venant de trobar : trouver). Il n'est pas dans le désir, mais dans le plaisir ; non pas dans un plaisir feint, mais dans l'essence même de toutes choses, ou au moins de ce qu'il peut trouver en son âme de plus fin, beau et bon. Cette harmonie miroite naturellement dans son apparence : son attitude, son élégance, etc. Évidemment, il est des gens qui travaillent d'abord leur apparence afin de faire croire que cela est le reflet de leur esprit... mais il dupent aussi eux-mêmes, ce qui n'est pas le but de la courtoisie bien sûr. Ce que j'apprécie beaucoup chez les petits-maîtres, c'est qu'il y a souvent dans leurs manières quelque chose de faux et toujours quelque chose d'original, de particulier, ce qui fait que l'on ne peut jamais les prendre au sérieux, le sérieux étant selon moi 'très éloigné' du vrai et du bon... le sérieux étant peut-être même à l'origine de la souffrance.

L'Ancien Régime possède un amour du rythme. Dans les cours, comme dans les villes et les campagnes, la poésie, la musique, le chant et la danse rythment la vie. Je devrais y ajouter la religion, qui offre une musique pour l'âme, qui est aussi un outil d'harmonie communautaire, mais là il faudrait que j'aille plus avant, celle-ci étant efficace que si elle est source de liberté et non pas de soumission. Car qui créent les religions ? Ce ne sont pas les dieux ou le Dieu unique mais les êtres humains.

Chez les petits-maîtres, on retrouve tous les dégradés de l’amour. Le XVIIe siècle en offre une gamme très complète. Le libertinage est particulièrement bien représenté avec les libertins et les courtisanes. Contrairement à ces derniers, les coquettes de cette époque ne recherchent pas le plaisir, elles le savourent comme il vient, en s’intéressant surtout à elles-mêmes. Les précieuses, qui représentent à elles seules tout un mouvement culturel, sont parfois coquettes, parfois « prudes », mais le ton général est celui d’un amour épuré, essayant d’être raffiné à l’extrême, comme « la carte du tendre » en donne un aperçu, finalement surtout intellectuel… suivant les préceptes platoniciens d’une âme se confondant avec l’Idée, l’essence des choses, la sagesse. Même l’amour religieux trouve son petit-maître à travers le courant ‘dévot’, qui est à la mode à certains moments de ce siècle. L’amour spirituel est, chez les petits-maîtres, avant tout celui des rythmes, du mouvement nouveau et de la beauté.

La courtoisie et la galanterie donnent une part importante à l'amour charnel, mais uniquement dans les rapports entre la femme et l'homme. Si l’homosexualité peut être présente et acceptée (notamment dans la famille de Louis XIV certains sont célèbres pour cela, comme Monsieur frère du roi), elle n’est jamais montrée comme exemple. Au contraire, la culture française est depuis son origine baignée d’un culte de la dame que l’on retrouve dans l'amour fin médiéval (fin’amor), la courtoisie et la galanterie. L’amitié est aussi beaucoup plus présente qu’aujourd’hui, avec des dégradés beaucoup plus profonds, et ceci aussi entre les deux sexes.

LA CARTE DU TENDRE

Je trouve que la tendresse, la douceur… manquent à notre époque ; surtout que celle-ci est particulièrement difficile, confrontée à des réalités qui semblent insurmontables, comme le nucléaire, la pollution, la surpopulation, et beaucoup trop d’autres encore. Nous sommes dans un temps qui a besoin de finesse et de se tourner vers la beauté, la fantaisie… enfin vers tout ce qui ne cause aucun dommage aux autres. La tendresse est le contraire de la barbarie… Mais pour cela, elle doit être universelle. En avoir pour ses enfants et mépriser ceux des autres, en n’est pas vraiment, même si c’est mieux que rien. La carte du tendre n’est pas toute plate. Elle a des reliefs, est riche en diversité… On l’aborde avec attention, afin de ne pas se fourvoyer, avec raison, cœur et esprit.

Le plaisir n'est pas le désir. Le désir est confronté à l'étroitesse de la matière (post coitum triste), alors que le plaisir savoure le présent, ouvre l'esprit à l'infinité de ses possibilités.

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Drôles de pistolets VIII : Le gommeux seconde génération du café-concert

Les Petits-maîtres de la Mode

La caricature de mode suit non seulement les nouvelles modes, mais aussi l’évolution des techniques de diffusion de l’image. À la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, la gravure est à son apogée et les merveilleuses et les incroyables sont un thème que les gens apprécient, car synonyme de nouveauté et de fantaisie. À partir de 1817, le calicot bénéficie particulièrement du développement de la lithographie, et devient le nouveau sujet dans le vent que l’on représente. Par la suite, les journaux consacrés à la caricature véhiculent toutes sortes d’images des nouvelles modes, particulièrement celles des cocottes, cocodettes et autres crevettes et petits crevés au temps des crinolines du Second Empire (1852 – 1870). Ensuite et jusqu’à la fin du XIXe siècle, ce sont les gommeux qui prennent la relève. Ce sont les nouveaux jeunes gens en vogue que l’on dépeint notamment dans des revues, livres, chansons et sur les partitions de ces dernières. Aujourd’hui, le gommeux et la gommeuse sont oubliés, contrairement à d’autres petits-maîtres comme les merveilleuses, les incroyables ou les zazous. Pourtant, c’est peut-être sur eux que j’ai trouvé le plus de documents d’époque pour ma collection.

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Ci-dessous, quelques-unes des partitions du dernier tiers du XIXe siècle que j’ai récoltées, j’espère pour votre bonheur. Je parle de « bonheur », car l’univers des petits-maîtres est celui de la joie ! Ces chansons évoquent surtout le gommeux de la seconde génération (voir mes livres), car beaucoup plus caricatural que celui d’origine (plus chic), et très apprécié des chansonniers du café-concert, dont certains prennent les tics, comme c’est le cas pour les gommeuses, avec quelques chanteuses gommeuses célèbres dont plusieurs sont présentées dans cet article. On dit que ces gommeuses et gommeux de cabarets sont des « comiques excentriques ».

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Le texte de la chanson Le Pantalon de casimir, ci-dessous, est intéressant, car il met en scène un mannequin, tel qu’il en existe jusqu’au début du XXe siècle, que les couturiers, tailleurs, modistes, etc. envoient dans les lieux à la mode, notamment les promenades, pour présenter leurs dernières nouveautés (Longchamp, boulevards, etc.). Ici, il s’agit d’un mannequin homme, exhibant un pantalon de casimir. Les mots et les expressions employés témoignent aussi un peu de la manière de parler des gommeux. Voici des passages de cette chanson : « Tempo di Polka. Cris dans la coulisse. Hip ! Hip ! Hourrah ! Hip ! Hip ! Hourrah ! (Il entre après les cris et dit) C’est bien, manants ! C’est bien ! 1. Vous vous dit’s en m’voyant ainsi, / Dans cette culotte équivoque : / Mais pourquoi donc as-tu choisi / Un pantalon aussi baroque ? / Figurez-vous qu’un grand tailleur / M’habille à l’œil et pour la peine / Il faut qu’avec ça j’m’promène / Dans tout Paris qui chante en chœur : / Ah ! quel chic a  / C’pantalon là ! / Ah ! Ah ! Ah ! / Quand on l’verra, / Chacun dira : / Ah ! Ah ! Ah ! / Ah ! quel chic a / C’pantalon là ! / Ah ! Ah ! Ah ! / Quand on l’verra, / Chacun dira : / Ah ! Ah ! Ah ! 2. Dans la gomme c’est moi qui fais loi, / Faut croire que mon chic n’est pas mince ; / J’ai du galbe, et voilà pourquoi, / Les modes nouvelles moi je les lince. [ainsi écrit] / Je m’suis fait mannequin ambulant. / Aussi sur l’boulevard quand je passe, / De mes jamb’s quand on voit la grâce, / Chacun s’écrie, en les voyant : Ah ! quel chic a & […] 6. Si l’on vant’ mon chic fameux / C’est que j’m’en rapporte aux cocottes / Dans l’monde entier y’en a pas deux / Pour porter comm’ moi les culottes. / Bref ! On m’encense en prose, en vers, / Moi qui jadis n’étais d’un rustre, / Maintenant je suis un illustre ! / C’n’est qu’un cri dans tout l’univers : / (Cris de coulisse) Hip ! Hip ! Hurrah ! (au public) Là les entendez-vous ? (On chante en chœur dans les coulisses pendant qu’il chante gaîment et prétentieusement) / Ah ! quel chic a & ».

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La tenue du tailleur : Être assis en tailleur

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Il y a deux façons d’être assis en tailleur : l’une en portant un tailleur, l’autre à la manière d’un Indien fumant le calumet de la paix dans son tipi.

Dans l’article sur La posture, j’écris que l’expression « s’asseoir en tailleur » vient du fait que certains artisans, en particulier les tailleurs, se mettaient souvent dans cette position pour travailler. Cela est vrai au moins depuis le Moyen Âge et jusqu’au XIXe siècle. Dans la première iconographie de cet article sur Le tailleur, on remarque que quatre tailleurs sont ainsi assis (voir aussi photographies ci-dessous à la fin de l'article). Généralement, c’est sur une table qu’ils s’installent de cette manière, façon tellement courante que cela a donné le nom à cette position. On peut voir d’autres exemples de tailleurs assis sur une table, souvent dans cette posture, dans ces estampes : Couturier vendant des vêtements de soie, Le tailleur, Le tailleur français en colère, Collets dit parasabre, Le tailleur, Le Concierge est tailleur.

Photographies de Physiologie du tailleur, par Louis Huart avec des vignettes de Gavarni, 1841.

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Je profite de cet article pour conseiller cette position chaque jour aux personnes qui ont l'habitude de rester assises plusieurs heures, notamment devant leur ordinateur, afin d'éviter le mal de dos à long terme.

Cette position est courante en Asie. Par exemple, on la retrouve dans les représentations de bouddhas. Une chose intéressante à noter, est que selon cette religion/philosophie, le bouddha du futur (Maitreya) est le seul, ou un des rares bouddhas, à être figuré assis sur une chaise. Des exemples ici, ici, ici et ici.

Beaucoup de divinités gauloises sont aussi représentées dans la position du tailleur, comme ici, et d'autres exemples sont visibles dans cet article et dans cet autre article.

Photographies ci-dessous d'une planche du XVIIIe siècle de l'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert.
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Élégances boisées

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Arriver à se reposer dans la nature est un véritable délice. Ce n’est pas toujours facile. Parfois on est attaqué par des insectes par exemple. Mais quand c’est possible, quel bonheur ! Le concert des oiseaux, le bruissement des arbres, la caresse d’un vent doux, les odeurs…

Au sujet de ces dernières, certaines de la nature ont largement influencées la parfumerie. Aujourd’hui encore, dans les sept grandes familles olfactives de parfums fabriqués par l’être humain, on compte les floraux, les boisés et les fougères.

Sur la photographie ci-dessus prise par un inconnu dans les années 1950, la jeune femme se repose dans une forêt de pins (sans doute des pins sylvestres) au milieu de fougères, ces deux plantes sentant bon, surtout quand elles sont réchauffées par le soleil, de même que l’humus et les autres plantes fraîches ou séchées par l’astre diurne. Ces fragrances continuent de se distiller pendant la nuit… comme par miracle.

La nature, en général, affine le goût de la personne réceptive. Elle lui ouvre les sens, lui offre une infinité de goûts divers à approcher à travers eux et l’inspire. Elle nous apprend ce qu’est l’inspiration et l’expiration, la vie et la mort.

La semaine dernière, alors que je me promenais dans la forêt, j’écoutais la symphonie orchestrée par des oiseaux, concert où s'ajoutaient des notes de couleurs (bleues, vertes, ocres…) et de lumières, des odeurs d’encens et de myrrhe, etc. Les arbres semblaient être les cordes d’une immense lyre formée par cette forêt, que pinçait la Nature, avec le souffle de ses éléments : le vent, les nuages, le ciel, la terre, la pluie, le soleil… Chaque pincement de corde était un arbre figé dans le temps, ou plutôt vibrant lentement, comme un éclair en très grand ralenti, en un temps qui dépasse l’être humain, qui est au-delà de lui… une musique céleste jouée sur terre…

Sur la photographie ci-dessous, deux jeunes dames sont assises sur l'herbe. Elles sont sans doute jumelles. D’après les habits, l’image peut être datée de vers 1875 - 1880. À cette époque, comme à d’autres, la robe était souvent coupée dans un tissu solide, peu fragile, le buste étant par contre plus ‘décoré’, notamment de dentelles.

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Mouvements de modes

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J’entends ici par « mode », au masculin, la manière de disposer une rythmique caractéristique, la mode en faisant partie bien sûr.

Une pensée, qui donne un mot, qui donne une phrase… tout cela surgit du mouvement… et même tout, toutes les choses, même celles qui nous semblent les plus inanimées. Le mouvement est partout. Il est la vie, la mort aussi. Il est ce qui commence et ce qui finit. Il est notre coeur qui bat, notre respiration. Il est même en nous là où nos sens ne le distinguent pas. Jusqu’où devons-nous le suivre ? Jusqu’où devons-nous suivre nos pulsions, le mouvement général, les mouvements de groupes… ? Quels modes devons-nous intégrer ? Quelle mesure prendre ? Parfois on bouge jusqu’à l’ivresse, parfois jusqu’à la maladie ; parfois c’est du plaisir… Bouger pour ramasser celui qui est tombé. Se mouvoir pour ne pas être bousculé. Trouver l’air juste… Tout en sachant qu’il ne sera que celui d’un moment.

Si le mouvement constitue tout ce qui fait l’être humain et son environnement, bien sûr, il existe quelque chose au-delà. Mais comme la bête n’a qu’une idée de ce qu’est l’homme, celui-ci n’a qu’une intuition de ce qu’il y a au-delà de lui et de ce que ses sens et son âme appréhendent. Sans le mouvement, il ne ressent que du vide (un mouvement vers le vide), du moins cela semble vrai pour la plupart, non ? De ce ‘vide’, il nous faut créer la plus belle des musiques, la plus belle des danses, un mouvement gracieux, un moment de grâce, plaisant, riche… C’est cela qui fait une des véritables richesses de l’être humain. C’est pour cela qu’il a inventé des modes, des modes qu’il considérait les plus adaptés aux circonstances : chants tristes, gais, solennels… danse… poésie… musique… mode vestimentaire… politesse… enfin tous les modes opératoires, qui agissent. Le mode, chaque mode, est une rythmique, un mouvement de l’esprit qui se fait parole et se concrétise dans le geste… devient réalité… pas obligatoirement maîtrisée, comme la respiration ou le rythme cardiaque, les saisons, la journée… dans une sorte d’emballement du cercle, de la rondeur du monde ou des mondes et des modes.

Illustrations ci-dessus : Photographie stéréoscopique d’une statue romaine, reproduisant le fameux Discobole de Myron.

Si René Descartes (1596 – 1650) a écrit dans son Discours de la méthode (1637) : Cogito, ergo sum (« Je pense donc je suis »), aujourd’hui on dirait plutôt Transeo, ergo non sum (« Je passe, donc je ne suis »), notre société étant surtout celle du passage, du mouvement effréné et rapide... un mouvement devenu folie.

Ci-dessous, ce merveilleux, tout en marchant, semble prendre la terre à témoin dans un mouvement très élégant. Le mouvement est ici une danse : On ne va pas d’un point à un autre, mais le geste est présence et plaisir… et non pas désir… alors que notre société de consommation n’est fondée que sur ce dernier, ce qui nous fait bouger frénétiquement et nous répandre comme un feu qui consomme ! De nos jours, le mode majoritaire est celui de la consommation, et la mode est prête à être portée…de même que les autres modes imposés par les moyens de communication… comme toute notre vie !

Merveilleuses et merveilleux

Le mouvement est la première chose qui fait la vie. Du reste, le verbe « faire » implique celui-ci. Ce n’est que récemment que le commerce international a accaparé celui de la communauté. Depuis la haute Antiquité jusqu’au XIXe siècle, le poète était considéré comme le plus apte à régler la mesure de la société et de ses êtres humains, à l’harmoniser. Il était le créateur des rythmes nouveaux et le détenteur de ceux anciens et traditionnels. La parole, la musique, la danse, le chant… il proposait à la collectivité les plus beaux rythmes qui la soudaient et la faisaient communier dans la grâce. Évidemment, chacun contribue aux mouvements de la cité ; mais la fonction des poètes était d’offrir les meilleurs, réglant notamment les festivités et proposant des modèles de création, en particulier au niveau de la langue. C’est ainsi que le français s’est constitué et a trouvé ses lettres de noblesse, au bas Moyen-Âge avec les poètes de la fin’amor, puis d’autres comme ceux de l’École lyonnaise, de la Pléiade, des cercles des précieuses, académies, etc.

 

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Un je ne sais quoi qui atalente

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« Salons de Paris » « Léon Glaize – Le Réveil. ». Carte postale « Imp. Phot. Neurden et Cie – Paris ». Sans doute s’agit-il de la firme Neurdein & Cie dont l’activité s’échelonne des années 1860 à 1918. Léon Glaize (1842 – 1931) est un peintre.

Le talent est une capacité qui vient de soi, sans effort particulier. En ancien français, le mot exprime de même un don mais aussi un désir, dans le sens de volonté et de désirer. « Talenter » veut alors dire plaire et « atalenter » inspirer le désir. Derrière cela, il y a l’idée d’agréer. Le mot « atalenter » est plus subtil que l’expression contemporaine « faire envie », car si « talent » est synonyme de « désir », il l’est aussi de « don »… de même que de « conscience ». La petite-maîtrise est en partie faite de talent dans le double sens du bas Moyen-Âge.

Le vulgaire souvent considère les petites-maîtresses comme des femmes provocatrices, voire de mœurs dépravées, simplement parce qu’elles sont libres et affichent leur liberté, par exemple en n’hésitant pas à montrer ce qu’elles ont de plus beau. Toutes ne sont pas ainsi… mais certaines… La gamme de la petite-maîtrise est très large, même infinie.

Il faut avoir été beau et avoir connu ce sentiment de complétude, pour comprendre de quoi je parle. Le persil, que j’évoque souvent (je renvoie à mes livres), est une des expressions de cette adéquation parfaite. Bien sûr, la méchante engeance peut essayer de souiller cela, mais comme le dit une sentence de l’Ancien Testament (la seule que je connaisse par cœur) : « Il n’y a rien d’extérieur à l’être humain qui ne peut le profaner ; c’est ce qui sort de lui qui le profane. » Donc fi des méchants !

Je crois que l’on ne peut pas même comprendre l’art sans cela. Chaque note d’une musique classique et les harmonies qui sont formées peuvent atalenter, de même que le font les mots en poésie, les traits, les couleurs, les sujets… en peinture, etc.

Sur la vidéo ci-après, la chanteuse atalente. Les paroles sont évidemment des métaphores sexuelles et les habits de la jeune femme sont loin d’être ceux d’une religieuse. Ceci dit, les « chants qui brûlent » font écho de nos jours aussi à la terre et aux herbes que les êtres humains brûlent de pesticides et autres pollutions qui enflamment aussi nos poumons.

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Drôles de pistolets VII : Pschutteuses fin de siècle par Lucien Métivet

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Lucien Métivet (1863 – 1932) est un caricaturiste à l’origine de représentations d’un genre de petite-maîtresse fin de globe assez originale, très pschutteuse comme on dit alors, ou bien koksnoff (cherchez toujours la différence !), une genreuse gourmée (pour continuer à employer des termes copurchics de l’époque) dont voici des exemples tirés de premières de couverture de la revue Le Rire, de 1897 et 1898.

Photographie ci-dessus : « AU SALON » : « MADRIGAL / La ressemblance est assez juste, / Mais, j’ai beau chercher, point ne vois / Votre petit je ne sais quoi ! / Il est vrai que ce n’est qu’un buste. » Illustration de première de couverture de la revue Le Rire, 1897.

Ci-dessous d’autres exemples, toujours de Lucien Métivet et du même journal mais datant de 1898.

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Ayant fait partie des Muscadins sous le Directoire

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Lithographie, sans doute des années 1840 (1847 ?), d’Honoré Daumier (1808 – 1879) et provenant de la revue Le Charivari : « Ayant fait partie des Muscadins sous le Directoire ».

Ci-dessous, représentations de muscadins. Photographies provenant de mon livre Merveilleuses & Merveilleux.

Muscadins du Directoire
Muscadins
Les images de muscadins d'époque sont rares. Les deux ci-dessus proviennent d'un almanach datant de 1793. Le muscadin est déjà présent bien avant le Directoire (1795 - 1799) : au moins depuis le milieu du XVIIIe siècle.
Ci-dessous, roman datant de 1874.
Muscadins

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Sur la toilette…

Les Petits-maîtres de la Mode

Dans Gorgias (Γοργίας) de Platon, Socrate affirme que : « Sous la gymnastique s’est glissée […] la toilette, pratique frauduleuse, trompeuse, ignoble et lâche, qui emploie pour séduire les airs, les couleurs, le poli, les vêtements, et substitue le goût d’une beauté empruntée à celui de la beauté naturelle que donne la gymnastique. » (traduction de Victor Cousin reproduite dans remacle.org).

Si, comme le philosophe, je pense que la beauté et la santé du corps sont plus importantes que l’apparence que l’on se donne, plaçant même la beauté et la santé de l’esprit au-dessus de celles du corps, je crois que la toilette est tout de même très estimable, une sorte d’offrande, une politesse, une œuvre d’art dessinée dans l’espace de la vie sociale.

On dit que Socrate n’avait pour vêtement qu’un seul manteau, sans doute un himation ; ce qui ne l’empêchait pas de fréquenter toutes les classes de la société, notamment les plus élevées et les plus coquettes, comme le bel Alcibiade un de ses disciples.

Quant à Gorgias, qui est critiqué par Socrate et Platon dans cet écrit, il s’agit d’un des premiers sophistes enseignant la rhétorique comme art de la persuasion. Il n’était pas aussi vénal que présenté par ces deux philosophes. Une anecdote le prouve. On dit qu’il vécut 108 ans ; on lui demanda d’où venait le succès de sa longévité, et il répondit : « Je n’ai jamais rien fait en vue de plaire à quelqu’un. »

Selon moi, la toilette n’est pas un art de plaire, mais, je le répète, un art de s’offrir et aussi de partager… un art du plaisir aussi. J’ai beaucoup écrit sur ce sujet dans mon blog.

Ci-dessus : Photographie sans doute des années 1940.

Ci-dessous : Illustration de première de couverture du Petit journal pour rire (« Journal amusant, des modes parisiennes et de la toilette de Paris ») : « Balivernes, – par A. Grévin. » « - Décidément, chère amie tu as manqué ta vocation ; tu aurais eu du succès en peinture. » Alfred Grévin (1827 – 1892), connu pour son musée et ses caricatures, était aussi un illustrateur (caricaturiste) des modes important. Voir des exemples croustillants dans ces articles : Drôles de pistolets, Drôles de pistolets II et Suspension dans le temps.

Les Petits-maîtres de la Mode
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Ci-dessous : Autre illustration de première de couverture du Petit journal pour rire : « Croquis parisiens, – par A. Grévin. » « - Au fait, comment la trouves-tu, ma petite femme ? - Heu ! Heu !!… tu sais, moi pas connaisseur en peinture ! »

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Ci-dessous : Détail d’une gravure anglaise de vers 1830, représentant ce que les Anglais appellent une « dandinette » (ainsi écrit en anglais), en train de se maquiller.

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Suspension dans le temps

Les Petits-maîtres de la Mode
Passez de bonnes fêtes de fin d'année !
 
La Mode : Ronde
 
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Ne cherchez plus les nœuds à mettre sur vos cadeaux !
 
Les Petits-maîtres de la Mode
Boire… mais avec mesure.
« Canotiers et canotières, – par A. Grévin. »
« Ils disent que j’ai trop bu, les ânes !… mais si j’avais trop bu… est-ce que je pourrais… faire ceci… sans qu’on me tienne ? »
 
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Déguisement non obligatoire !
 
Les Petits-maîtres de la Mode
Dansez… sans défoncer le plancher, s’il vous plaît !
« La nuit de Noël, – par G. Doré »
« – Ces gens-là veulent donc me casser la tête avec leurs valses ! »
 
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Les fées à la mode

Les fées à la mode

Le titre de cet article est inspiré de Contes nouveaux ou les Fées à la mode de la baronne d’Aulnoy (1651 – 1705), paru en 1698. Cet auteur est le premier à lancer la mode des contes de fées en France, avec L’Île de la félicité publié en 1691, avant même le moderne Charles Perrault (1628 – 1703).

Cet article ne fait qu’effleurer un sujet sur lequel on pourrait écrire tout un livre. Les contes et la mode sont deux sujets qui me passionnent, avec celui des pastorales, trois thèmes que je collectionne.

Ci-dessous : Détail de l'illustration d'un conte provenant du Cabinet des Fées (1786).

Les fées à la mode

Il existe d’étroits rapports entre la mode et la féerie, et la féerie et la mode, en particulier avec la mode vestimentaire. Ce goût explique en partie la beauté, le faste, le clinquant et la richesse de cette dernière sous l’Ancien Régime, du dernier quart du Moyen-Âge au Second Empire. La fantaisie règne alors. Les formes, les couleurs, la préciosité des tissus et des ajouts multiples (pierres et métaux précieux, broderies, passementerie, etc.), la nouveauté… tout concourt à renchérir sur le merveilleux. Ce n’est pas pour rien que l’on appelle « merveilleux » et « merveilleuses » les petits-maîtres des XVIIIe et XIXe siècles (voir Merveilleuses & Merveilleux), et même déjà depuis le Moyen -Âge. C’est qu’alors, dans la mode, il y a de l’enchantement, de la grâce, du charme… de la magie… Il suffit de contempler des habits féminins et masculins de l’Ancien Régime pour s’en persuader. En admirant certains, on ne peut s’empêcher de penser à des descriptions de vêtements de féerie dépeints dans des contes.

Ci-dessous : Estampe de mode de 1779.

Les fées à la mode

Ces contes décrivent certains vêtements avec beaucoup d’imagination, une imagination qui habille les personnages d’une façon fabuleuse ou bien avec la grâce toute simple d’une bergère ou d’un berger. La beauté est parfois nue, parfois extrêmement habillée, parfois cachée… par exemple sous une peau d’âne. La féerie ne connaît pas de limites. Ses descriptions sont libres, sans contraintes : Un coup de baguette magique et apparaît la plus merveilleuse des robes, le plus fabuleux des carrosses, le plus magnifique des équipages.

Au-delà des descriptions d’habits éblouissants, les contes mettent aussi en scène des personnages ayant au moins un vêtement caractéristique ou une particularité physique : le Chat botté, le Petit chapeau-rond-rouge, Peau d’âne, Barbe bleue, Riquet à la houppe, le Petit poucet, la Belle au bois dormant, Blanche belle, Jeune et Belle, Plus belle que fée, etc. La beauté est corollaire au merveilleux. Elle est parfois confrontée à une laideur tout aussi extraordinaire. Cette dernière peut se cacher derrière la beauté, comme pour la méchante belle-mère de Blanche-Neige et son miroir magique qu’elle consulte afin d’être sûr qu’aucune femme ne la surpasse en beauté !

Les fées à la mode

Quelques extraits :

Le Maître Chat in Histoires ou Contes du temps passé (Contes de ma mère l’Oye) de Charles Perrault.

« Le roi ordonna aussitôt aux officiers de sa garde-robe d’aller quérir un de ses plus beaux habits pour monsieur le marquis de Carabas. Le roi lui fit mille caresses, et, comme les beaux habits qu’on venait de lui donner relevaient sa bonne mine (car il était beau et bien fait de sa personne), la fille du roi le trouva fort à son gré, et le marquis de Carabas ne lui eut pas jeté deux ou trois regards, fort respectueux et un peu tendres, qu’elle en devint amoureuse à la folie. »

Ci-dessous : Centre d'une assiette du premier tiers du XIXe siècle.

Les fées à la mode

« AUTRE MORALITÉ : / Si le fils d’un meunier avec tant de vitesse / Gagne le cœur d’une princesse / Et s’en fait regarder avec des yeux mourants, / C’est que l’habit, la mine et la jeunesse, / Pour inspirer de la tendresse, / N’en sont pas des moyens toujours indifférents. »

Ci-dessous : Le chat botté par Gustave Doré (1832 - 1883).

Les fées à la mode

Peau d’Âne de Charles Perrault in Contes du temps passé.

« Dites-lui qu’il faut qu’il vous donne. / Pour rendre vos désirs contents, / Avant qu’à son désir votre cœur s’abandonne. / Une robe qui soit de la couleur du temps. / Malgré tout son pouvoir et toute sa richesse, /Quoique le ciel en tout favorise ses vœux, /Il ne pourra jamais accomplir sa promesse. // Aussitôt la jeune princesse / L’alla dire en tremblant au prince impérieux, / Qui dans le moment fit entendre / Aux tailleurs les plus importants / Que, s’ils ne lui faisaient, sans trop le faire attendre, / Une robe qui fût de la couleur du temps, / Ils pouvaient s’assurer qu’il les ferait tous pendre. // Le second jour ne luisait pas encore, / Qu’on apporta la robe désirée : / Le plus beau bleu de l’empyrée / N’est pas, lorsqu’il est ceint de gros nuages d’or, / D’une couleur plus azurée. / De joie et de douleur la fille pénétrée, / Ne sait que dire, ni comment / Se dérober à son engagement. / “Ma fille, demandez-en une, / Lui dit sa marraine tout bas, / Qui, plus brillante et moins commune, / Soit de la couleur de la lune ; / Il ne vous la donnera pas.” // À peine la princesse en eut fait la demande, / Que le roi dit à son brodeur : / “Que l’astre de la nuit n’ait pas plus de splendeur, / Et que dans quatre jours, sans faute, on me la rende”. // Le riche habillement fut fait au jour marqué, / Tel que le roi s’en était expliqué. / Dans les cieux où la nuit a déployé ses voiles, / La lune est moins pompeuse en sa robe d’argent, / Lors même qu’au milieu de son cours diligent / Sa plus vive clarté fait pâlir les étoiles. // La princesse, admirant ce merveilleux habit, / Était à consentir presque délibérée ; / Mais, par sa marraine inspirée, / Au prince importun elle dit : / “Je ne saurais être contente, / Que je n’aie une robe encore plus brillante / Et de la couleur du soleil.” // Le prince après avoir assemblé son conseil, / Fit venir aussitôt un riche lapidaire. / Et lui commanda de la faire / D’un superbe tissu d’or et de diamants, / Disant que, s’il manquait à le bien satisfaire. / Il le ferait mourir au milieu des tourments. / Le prince fut exempt de s’en donner la peine ; / Car l’ouvrier industrieux, / Avant la fin de la semaine, / Fit apporter l’ouvrage précieux, / Si beau, si vif, si radieux, / Que le blond époux de Climène, / Lorsque sur la voûte des cieux / Dans son char d’or il se promène, /D’un plus brillant éclat n’éblouit pas les yeux. »

« Elle entrait dans sa chambre, et, tenant son huis clos, / Elle se décrassait, puis ouvrait sa cassette, / Mettait proprement sa toilette, / Rangeait dessus ses petits pots. / Devant son grand miroir, contente et satisfaite, / De la lune tantôt la robe elle mettait. / Tantôt celle où le feu du soleil éclatait. / Tantôt la belle robe bleue / Que tout l’azur des cieux ne saurait égaler ; / Avec ce chagrin seul que leur traînante queue / Sur le plancher trop court ne pouvait s’étaler. / Elle aimait à se voir jeune, vermeille et blanche / Et plus brave cent fois que nulle autre n’était. »

Les fées à la mode

« On lui donna le temps de prendre un autre habit. / De cet habit, pour la vérité dire, / De tous côtés on s’apprêtait à rire ; / Mais lorsqu’elle arriva dans les appartements, / Et qu’elle eut traversé les salles / Avec ses pompeux vêtements / Dont les riches beautés n’eurent jamais d’égales ; / Des dames de la cour et de leurs ornements / Tombèrent tous les agréments. »

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Cendrillon ou la Petite Pantoufle de verre de Charles Perrault, in Contes du temps passé.

« Cependant Cendrillon, avec ses méchants habits, ne laissait pas d’être cent fois plus belle que ses sœurs, quoique vêtues très-magnifiquement. »

« Les voilà bien aises et bien occupées à choisir les habits & les coiffures qui leur siéraient le mieux ; nouvelle peine pour Cendrillon, car c’était elle qui repassait le linge de ses sœurs et qui godronnait leurs manchettes : on ne parlait que de la manière dont on s’habillerait. Moi, dit l’aînée, je mettrai mon habit de velours rouge et ma garniture d’Angleterre. Moi, dit la cadette, je n’aurai que ma jupe ordinaire ; mais, en récompense, je mettrai mon manteau à fleurs d’or, & ma barrière de diamants, qui n’est pas des plus indifférentes. On envoya quérir la bonne coiffeuse pour dresser les cornettes à deux rangs, & on fit acheter des mouches de la bonne faiseuse. Elles appelèrent Cendrillon pour lui demander son avis, car elle avait le goût bon. Cendrillon les conseilla le mieux du monde, & s’offrit même à les coiffer, ce qu’elles voulurent bien. En les coiffant, elles lui disaient, Cendrillon, serais-tu bien aise d’aller au Bal : Hélas ! Mesdemoiselles, vous vous moquez de moi, ce n’est pas là ce qu’il me faut : tu as raison, on rirait bien si on voyait un Cucendron aller au bal. Une autre que Cendrillon les aurait coiffées de travers ; mais elle était bonne, et elle les coiffa parfaitement bien. »

« Ensuite elle lui dit, va dans le jardin, tu y trouveras six lézards derrière l’arrosoir ; apporte-les moi, elle ne les eut pas plutôt apportés que la Marraine les changea en six Laquais, qui montèrent aussitôt derrière le carrosse avec leurs habits chamarrés, & qui s’y tenaient attachés, comme s’ils n’eussent fait autre chose de toute leur vie. La Fée dit alors à Cendrillon : Hé bien ? voilà de quoi aller au bal, n’es-tu pas bien aise ? Oui, mais est-ce que j’irai comme cela, avec mes vilains habits : Sa Marraine ne fit que la toucher avec sa baguette, & en même temps ses habits furent changés en des habits de drap d’or & d’argent, tout chamarrés de pierreries : elle lui donna ensuite une paire de pantoufles de verre, les plus jolies du monde. »

« Toutes les Dames étaient attentives à considérer sa coiffure & ses habits, pour en avoir, dès le lendemain, de semblables, pourvue qu’il se trouva des étoffes assez belles & des ouvriers assez habiles. »

« Là-dessus arriva la Marraine, qui, ayant donné un coup de sa baguette sur les habits de Cendrillon, les fit devenir encore plus magnifiques que tous les autres. »

« MORALITÉ // La beauté, pour le sexe, est un rare trésor ; / De l’admirer jamais on ne se lasse ; / Mais ce qu’on nomme bonne grâce / Est sans prix, et vaut mieux encore. // C’est ce qu’à Cendrillon fit avoir sa Marraine, / En la dressant, en l’instruisant, / Tant et si bien qu’elle en fit une Reine : / (Car ainsi sur ce conte on va moralisant.) // Belles, ce don vaut mieux que d’être bien coiffées : / Pour engager un cœur, pour en venir à bout, / La bonne grâce est le vrai don des Fées ; / Sans elle on ne peut rien, avec elle on peut tout. »

Les fées à la mode
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Hautes coiffures féminines de 1778

Les Petits-maîtres de la Mode

Dans un almanach de 1778, se trouve la gravure présentée ici. Celle-ci, bien que n’étant pas d’une grande qualité de réalisation, est très intéressante, ainsi que le texte de l’article qu’elle illustre.

L’estampe a pour légende : « Deux Représentations aussi curieuses que remarquables particulièrement pour le Beau-Sexe adonné à la Mode ». On y voit une dame à sa fenêtre enlevant sa perruque d’une main, et d’autres réunies dans un salon, portant des coiffures en forme de paon, de cygne, de renard, de lion, de tigre, une reproduisant une bataille navale (ou un port) et une autre une ville fortifiée.

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L’article est intitulé : « Description remarquable d’un habile Coiffeur de Sibérie & des Coiffures très curieuses qu’il exécute. » Il commence par la transcription d'une traduction d’une lettre qui viendrait de Saint-Pétersbourg en Russie, où un coiffeur sibérien se serait installé avec sa femme. Les usages qui y sont décrits sont ceux qui sont inventés et se pratiquent alors en France, en particulier à Paris. Ce coiffeur est dépeint comme un artiste rejetant « entièrement l’usage des épingles, des coussins de cheveux & de la poudre ». « Au lieu de graisse humaine [sans doute est-ce une faute, et faut-il lire : « graisse animale »] ou d’autres onguents pour faire croître les cheveux, il emploie les plantes aromatiques avec beaucoup de succès. Ses coiffures surpassent toutes les autres, & font naître une admiration qui va jusqu’à l’étonnement ; car il métamorphose la Tête des Dames à leur fantaisie, en celle d’un lion, d’un loup, d’un tigre ou d’un renard […] Ce n’est pas tout, outre les figures de ces animaux, une tête prend encore sous ses mains ingénieuses la forme d’une forêt, d’une ville avec ses murailles & leurs meurtrières, d’un port avec des vaisseaux, &c. Il possède aussi le secret de donner aux cheveux la couleur qu’on désire […] il change les cheveux, suivant la mode en brun, en cramoisi, en vert, &c. » Il est dit que ce coiffeur invente une machine empêchant les hautes coiffures d’être dérangées pendant la nuit, et qu’il a l’art d’allonger les cheveux avec l’aide « de petits tubes délicats dans lesquels il introduit des cheveux faux, & qu’il adapte & affermit si artistiquement avec une colle subtile qu’on ne peut les distinguer avec les naturels ; par le moyen de cette invention ingénieuse les dames peuvent élever sur leurs têtes des édifices de 3, 4, 5 pieds et plus ». Un pied représentant alors autour de 30 cm, la mesure de cinq pieds correspond à peu près à 1,50 m ! Afin que les petites dames ne soient pas désavantagées, il aurait même inventé des échasses (sans doute des sortes de patins, voir articles sur le sujet dans mon blog) pour celles-ci « qui s’adaptent d’une manière si délicate qu’on ne peut les distinguer d’avec les pieds naturels, & qu’on s’en sert aussi commodément que de ceux-ci, si ce n’est qu’elles font un peu chanceler en marchant, manière de marcher qui commence à devenir à la mode parmi les dames à sentiment. » Cet article se poursuit en nous apprenant que « la femme de cet artiste » réalise des coiffes à « ressorts, afin que lorsque les dames descendent de voiture, elles puissent recouvrer la hauteur de leur coiffure. » Elle remplace aussi les « modernes ornements de fleurs » par des plantes aromatiques, etc. Au XVIIIe siècle, les coiffeurs sont considérés comme des « artistes en cheveux ». Là aussi, j'ai beaucoup écrit sur ce sujet dans mon blog.

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En complément de cette lettre, l’article se poursuit en faisant état d’un « accident fâcheux » arrivé à une dame de Londres, s’étant mise à une fenêtre à laquelle sa « coiffure à la mode » s’accrocha : « La dame un peu déconcertée voulut se retirer ; mais elle l’essaya en vain, & malgré tous ses efforts, elle fut obligée de rester quelque temps dans cette posture ridicule, au grand divertissement des spectateurs. Un clou qui était au haut de la fenêtre & par-dehors, s’accrocha tellement au fil d’archal de la frisure, qu’il lui fut impossible de se débarrasser. Enfin à force de se débattre, elle retira sa tête seulement, laissant à sa grande honte, cet énorme édifice de frisure suspendu au clou de la fenêtre comme un monument de son goût extravagant pour la mode. »

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On trouvera quelques autres exemples de coiffures féminines de la même époque dans les articles suivants ainsi que d’autres de ce blog : Les Macaronis, Coiffure en « échelle de boucles », Coiffures à la mode entre 1788 et 1790, Deux coiffures du XVIIIe siècle, etc.

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Extravagances régionales

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Si la mode parisienne du XIXe siècle ne manque pas de fantaisie, les costumes régionaux de l’Hexagone rivalisent aussi ‘d’extravagance’. À la fin du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe, en même temps que le tourisme régional se développe, un grand nombre de photographies de ces tenues ‘traditionnelles’ sont éditées sous la forme de cartes postales. Des exemples gravés plus anciens existent, sous la forme notamment de recueils de gravures, depuis le XVIe siècle jusqu’au XIXe inclus. Je présente ici certaines de ces images des XIXe et XXe siècles. Ce sont surtout les coiffes qui sont remarquables par leurs dimensions notamment. Elles rappellent souvent des tenues très anciennes, médiévales, comme le hennin, dont on trouve des exemples dans cet article. Les coiffes ci-dessous sont normandes, alsaciennes et du sud-ouest de la France (Île d'Oléron, Les Sables-d'Olonne...). La dernière photographie présente un costume toulousain. Je rappelle que le terme de « costume » vient de « coutume » !

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Vêtements religieux contemporains reliquats de l’habit antique

Les Petits-maîtres de la Mode

Dans l’article intitulé L’armure : L’ancêtre du vêtement moderne, je montre que le vêtement moderne a une origine médiévale suivant le développement de l’armure. Vers le XIIIe siècle, en Occident, l’habit antique est progressivement abandonné au profit du moderne, taillé et plus complexe. Cependant, des éléments du costume antique sont conservés jusqu’à aujourd’hui à travers certains costumes ecclésiastiques du monde entier.

Dans la religion catholique, la chape peut être comparée à des manteaux antiques et médiévaux tenus par une agrafe, de même que d’autres formes de manteaux, le mantelet, etc. La chasuble, à deux pans et sans manches avec une ouverture pour la tête, rappelle un autre genre de manteau ou de tunique de dessus. La soutane, non seulement est une réminiscence de la tunique antique mais aussi de la robe médiévale qui est portée par les deux sexes, de même que pour l’aube. La coule, aussi appelée cuculle (du latin cucullus), est un habit à capuchon déjà porté chez les Romains et surtout par les Gaulois et pendant tout le Moyen Âge. Chez les protestants, on compte la robe pastorale, chez les orthodoxes le manteau (mantiya), chez les musulmans la djellaba (aussi vêtement laïque), etc. En Asie, tuniques et vêtements drapés comme durant l’Antiquité sont nombreux, comme ceux utilisés par les religieux bouddhistes, et en Inde même par les laïques, comme pour le sari.

Les multiples robes ecclésiastiques rappellent que la robe était autrefois un vêtement en usage chez les deux sexes. Dans le Paris d’aujourd’hui, on voit de nombreux Africains (aussi des Pakistanais…), souvent musulmans en porter. Est-ce que ceux-ci vont remettre au goût du jour la robe chez les hommes ? Dans les années 1980, Jean-Paul Gaultier (né en 1952) n’est pas vraiment arrivé à imposer la jupe chez ceux-ci. Pourtant, elle est une réminiscence de vêtements antiques aussi portés par les hommes, notamment des drapés couvrant parfois seulement la taille et les jambes, le drapé permettant une grande variété de compositions ; elle rappelle aussi certaines sortes de pourpoints et de courts manteaux du XVe siècle et du début du XVIe.

C’est avant tout pour des raisons pratiques que, dans son histoire, le costume change et notamment se féminise ou se masculinise, dans ce cas non pas pour des raisons de différence entre les sexes, mais par commodité. Dans les religions, l’aspect pratique est moins mis en avant que le confort, d’où la conservation de vêtements antiques et médiévaux. De même, l’habit religieux se démarque profondément des modes, les religions condamnant souvent celles-ci ou les 'méprisant'. L'habit rapiécé du Bouddha Shakyamouni et la robe de bure de moines en sont des exemples. Pourtant, même si les vêtements religieux sont souvent très sobres, ils peuvent être très nombreux, suivant les offices, les congrégations, les échelons ecclésiastiques, etc., et parfois très travaillés et précieux. Depuis au moins le XVIe siècle, de nombreux ouvrages illustrés sont publiés répertoriant ces divers costumes. On peut en voir un ici datant de 1658 et ici un autre sans doute du début du XVIIIe siècle.

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Tronchinades : Marche et démarche. Une histoire de la chaussure

Cravate du 17e siècle

Marche et démarche. Une histoire de la chaussure, est la nouvelle exposition du Musée des Arts décoratifs de Paris, à voir jusqu’au 23 février 2020 ! PROLONGATION JUSQU'AU 22 MARS !

Le titre est trompeur, car il n'y est question que de chaussures, et on y expose presque que des chaussures ou plutôt des souliers  : des centaines, de tous les siècles depuis le Moyen Âge, et même de tous les continents, avec des exemples d’époque très émouvants, comme une paire à bouts carrés et à talons hauts ayant appartenue à Philippe d’Orléans (« Monsieur » : le père) mais sans ses fioritures (gros lacets, pompons ou grosses boucles), des poulaines du XVe siècle, dont une particulièrement longue et travaillée, une chaussure « à patte d’ours » du XVIe siècle (mode qui succéda à la poulaine, l’une ayant un bout très large et l’autre très long, dans un esprit de contradiction qui compose souvent les nouvelles modes de l’accoutrement), des patins, et bien d’autres trésors. On n’y parle pas des chausses et autres bas-de-chausses, ni des chaussettes, des bas, des guêtres… On n’évoque pas assez l’importance des lacets, des nœuds et autres fioritures, qui pour certaines sont de véritables bijoux, même si une petite partie de cette exhibition est consacrée aux boucles de chaussures du XVIIIe siècle. L’Antiquité est à peine effleurée : Je crois n’avoir vu qu’une statuette antique représentant Aphrodite nue mais chaussée de hautes cothurnes.

Au sujet des patins, on remarque qu’on en a utilisés depuis l’Antiquité, jusqu’à l’avènement des rues goudronnées et des trottoirs asphaltés. Des exemples sont exposés depuis le Moyen Âge jusqu’au XIXe siècle, avec certains adaptés pour les poulaines, d’autres très hauts (peut-être jusqu’à 50 cm), etc. Ces derniers sont aussi appelés « chopines » (voir des explications ici, et des exemples ici et ici).

J’ai découvert dans cette exposition que les chopines pouvaient être très travaillées, certaines entourées d’un velours de soie, agrémentées d’argent, de rubans, de cuir, sculptées de motifs, etc. La haute semelle était généralement en liège, ce qui les rendait légères malgré leur hauteur. Dans une partie de l’exposition, on peut même essayer des poulaines et des chopines dont une est haute de peut-être 30 cm. J’ai enfilé ces dernières, et l’on avance plus facilement qu'il n'y paraît avec. Avec les poulaines, il m’a semblé que l’on ne pouvait le faire qu’en marchant ‘en canard’.

Jusqu’au XVIIe siècle au moins, certains jeunes gens s’amusaient à faire claquer leurs patins. L’exposition n’évoque pas le claque-patin (ou cliquepatin) médiéval, un petit-maître connu pour cela. Du reste, il n’est à aucun moment question des personnages de la mode dont le nom vient d’un type de chaussure, comme pour le talon rouge (voir ici et ici), ou de la façon de marcher, comme pour le faucheur (voir ici), le fendant (voir ici), le flâneur, le museur (voir ici), ou le boulevardier (voir ici). Même le dandy est oublié, dont le nom vient de l’ancien français « dandin » : celui qui se dandine. Il n’y est pas question non plus du fameux persil (voir ici), complètement oublié aujourd’hui mais très en vogue jusqu’au XIXe siècle, qui consistait à marcher ostensiblement comme si on fauchait le persil. C’était en quelque-sorte l’ancêtre des défilés de mode. Le bois de Boulogne, un haut lieu de la parade de l’Ancien-Régime est éclipsé, de même que les boulevards, le cours la Reine (voir ici et ici), etc. Il me semble que l’on n’évoque pas non plus la Théorie de la démarche de Balzac (voir ici), le « faire belle jambe » masculin (voir ici), la promenade (voir ici et ici), C’est dommage, car le titre de cette exposition était très prometteur. La chaussure n’est qu’un élément de la marche et surtout de la démarche, comme la mode de l’accoutrement (chaussure, vêtement, coiffure, parure, petite oie, maquillage…) n’est qu’une partie de la mode, cette dernière englobant aussi la musique, la danse, les manières, le langage, les arts décoratifs… enfin tous les rythmes nouveaux.

Par contre, on retrouve certaines de ces notions dans le catalogue de cette manifestation. J'ai mentionné ces thèmes au conservateur en charge de cette exposition lorsqu'il m'a demandé de présenter une de mes gravures. Après mon message où j'acceptais de la prêter et lui parlais de tout cela (talons rouges, faire belle jambe, promenades, sautillements, maîtres de danse et de démarche, pied mignon, entravées…), avec des liens vers mes articles, il ne m'a plus jamais recontacté (pas même une invitation pour le vernissage), avant que je retrouve ces sujets évoqués seulement par lui-même dans ce catalogue. Il ne parle cependant pas du fauchage de persil sur lequel j'avais insisté, et qui est décidément complètement oublié aujourd'hui, bien qu'une des bases de la mode française. Il relate aussi une manière du XVIIIe siècle que je ne connaissais pas : « tronchiner ». Voici des passages de ce catalogue qui décrivent cela : « La marche au grand air est un sujet de prédilection des philosophes, des médecins et des hygiénistes des Lumières. […] Au milieu du XVIIIe siècle, Théodore Tronchin, médecin genevois réputé pour avoir encouragé l’inoculation, conteste l’immobilité des dames bien nées et préconise des exercices physiques et notamment la marche à celles qui ne connaissent que les mouvements produits par les secousses d’un carrosse ou d’une chaise à porteurs. […] À partir du milieu du siècle, les dames tronchinent – le médecin eut droit de son vivant à un verbe. En 1758, Edme Louis Billardon de Sauvigny précise dans une note que “Tronchin, […] l’inoculateur à la mode, a eu la gloire de voir toutes nos petites maîtresses […] aller les matins tronchiner : on voulait dire par-là se promener”. […] Les revues de mode et les chroniques contemporaines révèlent l’existence […] de robes à la Tronchin, dites tronchines. Il s’agit de ces robes dites “de négligé”, que l’on porte sans corps à baleines, sans paniers, et qui ont surtout la particularité d’être plus courtes que les robes à la française, leurs formelles aînées. Parée d’un ourlet s’arrêtant aux chevilles, la tronchine est destinée à la promenade. Cependant, il ne faut pas oublier que, dans ces années 1770, les souliers des dames demeurent hauts et instables [ceci dit pas plus instables, et peut-être même moins, que les hauts talons féminins actuels et du XXe siècle]. La mode, qui n’en est pas à sa première ruse, promeut alors l’usage des “cannes à la Tronchin” (“c’est ainsi qu’on nomme ces bâtons élevés, qui depuis 1770, ont pris tant de faveur parmi les personnes du beau sexe”, explique la Gallerie des modes en 1778 ), qui servent à équilibrer les marcheuses oscillantes. »

Évidemment, rien ne s'invente, et chacun apprend constamment de sources d'époque et plus récentes renvoyant à celles-ci ; mais sans partage, échange (conférer le mythe des Trois Grâces), cela ne devient que de la laideur et même du vol, même lorsque l'on prend un masque respectable de conservateur. Une belle démarche, avant d'être celle du corps, compose l'esprit… Je relate cette histoire, parce que c'est effrayant de constater qu'un conservateur de notre patrimoine puisse aussi être un voleur ou une personne malhonnête.

Si le thème de la marche est lui aussi présent dans le catalogue, il l'est assez peu dans l'exposition. On a même l'impression que l'on a véritablement commencé à marcher à partir du XXe siècle, avec l'invention des chaussures 'confortables' et toutes celles en plastique faites pour déambuler sur les sols uniformes d'asphalte. Beaucoup des exemples exposés d'avant cette période semblent plutôt inconfortables. La réalité est opposée : On marche beaucoup plus avant l'invention de la voiture à moteur, de la bicyclette, du train, du métro, de la trottinette, etc. Par exemple, les hommes font un grand usage des bottes. Les bottiers sont peut-être aussi nombreux que les chausseurs pour hommes. Il y en avait de très célèbres, comme le Bordelais Nicolas Lestage réputé pour sa confection de bottes sans couture offertes au roi Louis XIV. Il me semble que l'exposition ne montre aucune botte d'avant le XXe siècle, et on ne trouve aucune image de bottes d'avant le XXe siècle dans le catalogue. Pourtant, l'affiche de l'exposition présente la photographie d'une paire récente de bottes avec un haut talon... pas vraiment faites elles pour marcher longuement… Les bottiers fabriquaient aussi des brodequins, qui sont des chaussures montantes sur le bas de la jambe et se laçant. Certains de ces lacets ou bandelettes pouvaient monter jusqu'au genou, tenant ainsi le bas-de-chausse, à partir d'une chaussure ou de ce qui s'apparentait à des sandales, comme durant l'Antiquité et au Moyen Âge. Quant aux chaussures, bien que ne présentant pas de gauche et de droite avant la seconde partie du XIXe siècle, elles étaient souvent très confortables. Du fait même qu'elles n'avaient ni droite ni gauche, elles étaient très souvent confectionnées en tissu et autres matières souples. Jusqu'au XVIe siècle inclus, elles s'épousaient toujours au pied, même si certaines, comme les poulaines, avaient un bout long voire très long. Depuis l'Antiquité jusqu'au XVIe siècle inclus, elles n'avaient pas non plus de talon, même si quelques-unes pouvaient avoir de très hautes semelles, comme pour les cothurnes antiques, mais qui étaient souvent rapportées sous la forme de patins. Donc, si les patins pouvaient avoir de hautes semelles, le talon ne devint commun qu'à partir du XVIIe siècle, chez les femmes comme chez les hommes. Au début de l'exposition, on peut voir un exemple de poulaine s'épousant parfaitement au pied, sans talon ; et en regardant sur le côté caché, on s'aperçoit que celle-ci se nouait sur toute sa hauteur.

L'exposition fait peu de cas des métiers autour de l’habillement du pied. Pourtant il y en a de nombreux : chausseurs, bottiers, tanneurs, cuireors, bonnetiers (qui font aussi des chausses), tricoteuses, batestamiers, chanceteurs, chaussetiers, cordonniers, savetiers, corvoisiers, semeliers, talonniers, formiers, sabotiers, socquetier, pantoufliers, patiniers, guestriers, décrotteurs, cireurs, etc. La calcéophilie (voir ici) est oubliée. On n’y trouve pas non plus de souliers en faïence (voir ici). On n’y compte presque pas de gravures françaises, livres et peu d’autres documents anciens autour de la chaussure (quelques peintures, affiches, gravures anglaises, photographies tout de même).

Mais bon, rien que pour les poulaines, les chopines et toute l’histoire du soulier donnée par l’exemple, cette exposition vaut largement le détour. On y évoque aussi des chaussures qui font rêver, comme celle de Cendrillon, les bottes de sept lieues ou du chat botté, celles des paillasses et autres pitres de cirques, etc. On a donc là une belle exposition de souliers de toute l'époque moderne (depuis le Moyen Âge jusqu'à aujourd'hui). À quand une sur la chaussure et sur la marche et la démarche ?

Photographie ci-dessus : Le dossier de presse présente ces souliers comme : « Chaussures pour femme —Vers 1630 Paris, Musée des Arts Décoratifs © MAD Paris Photo : Jean Tholance ». Il peut tout aussi bien s’agir de chaussures d’homme. Dans La Noblesse française à l’église de Jean de Saint-Igny (v. 1595 – v. 1649) et Abraham Bosse (1602 – 1676), datant de 1630, on peut contempler des exemples de ces chaussures dont le talon se détachait de la semelle en contact avec le sol (voir ici, ici et ici). Du reste, il s’agissait sans doute souvent de patins, comme on en faisait au Moyen Âge, notamment pour les poulaines.

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Mouvements d’apparence, d’appartenance et de style : Dialogue avec Laurent Manet

Il y a divers pans des mouvements de mode que je n’inscris pas dans la petite-maîtrise pour diverses raisons. Un en particulier est anglo-saxon, surtout du XXe siècle et englobant une somme impressionnante de courants : blues, rock’n’roll, hippie, hard-rock, rockabilly, mod, punk, ska, new-wave, rap, grunge, techno, etc. Un autre pan pourrait inclure tous ceux nés dans d’autres pays européens ou continents. Laurent Manet connaît beaucoup mieux que moi ces autres mouvements, en particulier ceux liés au rock, étant tombé dans la marmite très jeune, et ayant participé activement à l’un d’entre eux.

Je suis content de ce lien établi avec lui, qui est celui d’un amour commun du rythme, et des styles qui en découlent, ‘écrits’ par ceux qui ont décidé de prendre en main leur persona, le rôle qu’ils jouent ou ne veulent pas jouer dans la société… Ces rythmes sont surtout ceux de la rue, traditionnellement lieu où se déroulaient les comédies du théâtre, où tout le monde se rassemble sans obligatoirement s’y assembler, avec certains qui s’y distinguent tout particulièrement, parfois de manière très inattendue.

Beaucoup croient que les petits-maîtres sont tous de petits bourgeois ou aristocrates maniérés. J’ai de nombreux exemples de cette méprise, qui peut se comprendre par le nom même de « petit-maître ». Voici un aperçu de ce genre d’erreur dans cet article (cliquer ici), dont j’ai gommé le nom de l’auteur, d’une revue papier, chroniquant le livre Merveilleuses & merveilleux, qui franchement donnerait envie de se teindre les cheveux en rouge et de crier « HoulaHoulaHoulala ! », non pas tant parce que le titre de l’ouvrage et mon nom ne sont pas bien orthographiés, ce qui contrarie tout de même des recherches sur internet pour se procurer le livre, mais surtout parce que, malgré l’emploi de très jolies et poétiques expressions, l’auteur de cet article y stigmatise les petits-maîtres comme étant des « nantis », utilisant des « allégories distinctives » (très jolie expression du reste) « couramment indicatives de l’appartenance sociale et de revendications de signes extérieurs de richesse ». Si cela est vrai pour quelques-uns, c’est très loin de l’être pour tous ! La richesse de ces merveilleux c’est avant tout leur style, leurs manières, leur fantaisie, l’inventivité qu’ils déploient, les nouveaux rythmes qu’ils créent ou dont ils usent, leur modernité, leur jeunesse, etc. Ceci dit, je note aussi les quelques belles expressions de ce papier, qui elles méritent d’être reprises : « rituels esthétiques », « positions d’apparat », « intérêts figurés », « investissement », « connotations véhiculées par l’allure »… et le maintenant fameux « allégories distinctives » !

Lorsque j’ai rencontré Laurent de visu pour la première fois, je me suis aperçu qu’il avait une culture immense de ces « allégories distinctives », ce que l’on peut appeler « les mouvements de mode »*, en particulier du XXe siècle, appellation intéressante car faisant référence au rythme (« mouvements ») et au « mode » (la façon, la méthode de création de ces rythmes dans laquelle est incluse la mode). Il suffit de lui demander un renseignement sur l’un d’entre eux pour qu’il donne des détails ahurissants et importants… Comme je suis toujours à l’affût d’informations, j’ai trouvé le moyen de cet entretien pour en apprendre un peu plus ! Évidemment, il connaît tout particulièrement bien le mouvement punk, puisqu’il était l’un des deux membres fondateurs du groupe Ludwig von 88, qui a débuté en 1983.

Laurent ex Laurent

Contrairement à son grand-frère anglais, le punk français jouait davantage sur la dérision que sur le no future, était peut-être plus festif que destroy, utilisait des paroles exclusivement en français (bon parfois on n’est pas sûr que cela soit du français !) et s’intégrait dans ce que l’on appelait alors le « mouvement alternatif ».

Le blog de Laurent-ex-Laurent

Pourtant, j’ai remarqué que Laurent restait très ouvert quand on parlait de mouvements de modes, car, je le répète, c’est un véritable passionné de ceux-ci, sentiment qu’il concrétise aujourd’hui notamment dans la création de figurines : Depuis quelques années, il fabrique et vend des figurines de ce monde rebelle, déjanté, excentrique et surtout anglo-saxon, que l’on retrouve sur figurines-rock.com, classées en catégories : Teddy Boys / Rockers – Mods – Skinheads / Bootboys – Punks / Hardcore – Psychobilly – Ska Reggae Rocksteady – Bikers – Gothiques Batcave – Hip Hop / Street – Rock'n'Roll Heroes – Cinéma TV – Animaux – Historiques. Il est déjà question de son travail dans l’article intitulé Catharsis obligatoire ?

Le blog de Laurent-ex-Laurent

* L’expression « mouvement de mode », popularisée par le livre Les Mouvements de mode expliqués aux parents de Hector Obalk, Alexandre Pasche et Alain Soral, paru en 1984, est déjà présente avec le sens décrit dans cet ouvrage dans les années 1970, où on évoque par exemple « le mouvement punk », etc.

DIALOGUE AVEC LAURENT MANET

– Salut Laurent ! Tu m’as dit que déjà en 1977, à 15 ans, lors de ton premier voyage à Londres avec tes parents, tu les as obligés à t’emmener dans la boutique SEX, lieu de rassemblement des débuts du mouvement punk, et à déambuler avec toi sur King's Road (de nos jours n’y allez pas vous y trouverez surtout des boutiques de prêt-à-porter, mais à l’époque c’était quelque chose !). Tu as assisté aussi plusieurs fois à des concerts de The Stranglers à l’époque… Raconte-nous, s’il te plaît, comment t’est venu ce goût pour le punk, surtout que depuis la France c’était plutôt difficile d’obtenir des informations, non ?

– Avec mon frère, nous sommes tombés dans le rock très tôt, en voyant les pochettes de disques dans les premiers supermarchés de la banlieue. Le critère de choix était souvent les plus sales trognes sur les photos. À l’époque, il y avait même des cabines d’écoute dans certains magasins. Donc on est tombé sur Alice Cooper, The Who, Slade, Creedence et on a commencé à s’intéresser au rock énergique. Vers 76/77 (j’avais 15 ans), il y avait déjà le magazine Best et quelques fanzines (comme Rock News) qui publiaient alors des articles microscopiques sur les Sex Pistols. Tout de suite on a été intrigué par le look des mecs. Les cheveux courts et hirsutes, les pantalons étroits en cuir, les t-shirts déchirés, les accessoires en métal divers…  J’ai adoré, direct, ça changeait du look hippie des 70's. De plus j’étais bien content de voir que je n’étais pas le seul à en avoir par-dessus la tête des groupes progressifs de la fin des 70's, chiants et sortis des conservatoires. Ensuite, on est arrivé à capter les premiers disques punk et pub-rock dans une minuscule boutique sur Paris : l’Open Market… aussi l’arrivée du premier Ramones à la Fnac, oui oui… là ce fut la révélation, c’était la musique qu’on attendait, simple et accessible.

Laurent ex Laurent
Image ci-dessus et celle ci-dessous ont été fournies par Laurent.

Les voyages culturels et scolaires avec mes parents profs m’ont emmené en Angleterre très souvent. Comme la culture est partout, entre deux visites de musées, on est passé en famille chez Sex. Mes parents étaient ouverts et gardaient leur côté touriste et curieux. On a été salement lorgnés par Jordan la vendeuse, mais j’étais aux anges ahahah. Ensuite je suis retourné seul ou en bande chaque année, voire plusieurs fois par an. King's Road était ces années-là la vitrine de tous les mouvements, goth, pirate, nouveaux romantiques, positive punk, psycho, etc. La boutique Sex devint World'end. On pouvait y voir déambuler des couples en tricorne et robes style Marie-Antoinette au milieu des gens du commun sans que personne ne s’en offusquât. C’est une des raisons de mon amour pour ce pays… et ses musiques.

Oui je suis devenu fan des Stranglers dès le premier album. Lors mes pérégrinations britishs j’ai eu l’occasion de les voir à Guilford, leur banlieue d’origine. L’arrivée à la gare avec tous les meninblacks chantant les derniers refrains et le parcours encadré par une garnison de bobbies auguraient déjà d’une ambiance assez chaude. Première partie : Hazel O'cConnor vue dans le film Breaking Glass (beau film sur l’époque punk) cool, et ensuite les maitres ahahah. Des gros punks se jetaient du balcon, et le concert, très très bon, dura plus longtemps que d’habitude. Quelques jours auparavant, autre ambiance : J’étais au concert des Lambrettas à Brighton, costumes mod bien repassés et chaussures vernies avec descente de skinheads sur la plage (ils avaient remplacé les rockeurs [sur le sujet voir le film Quadrophenia de 1979], on doit être en 79). Bref la découverte du punk est née de mon goût pour les styles à contre-courant. Et même si déjà dans les années 80 le punk était devenu réglementé, j’en étais toujours amateur.

– Une des grandes forces des mouvements de mode, notamment anglo-saxons mais aussi dans beaucoup de francophones, c’est de pouvoir créer un style avec rien : jouer des rythmes nouveaux simplement en changeant la langue, la manière d’être, de s’habiller, de faire de la musique, de chanter, etc. L’audace et l’imagination remplacent l’argent. Ce sont des richesses. Les adolescents l’ont bien compris, eux qui sont encore dépendants de leurs parents. Par exemple, pour être punk on a besoin de rien. J’ai lu quelque part que le punk français des années 1980 était né d’une énergie et d’une nécessité de l’exprimer. Cela est sans doute vrai pour tous les mouvements. As-tu conservé cette énergie ?

– Pas facile de garder la même énergie à 57 ans, mais l’envie reste, et c’est cette envie qui m’a poussé à créer sans me soucier des techniques et des critiques. En effet, les débuts du punk français des 80's sont venus de la banlieue. Peut-être en réaction à nos aînés de 77, plutôt arty et parisiens, nous avons cultivé le ratage, le minimal, le débile. Les punks influencés par l’Angleterre étaient devenus normés avec crêtes et blousons à clous, voire politisés. L’originalité initiale n’étant plus là, nous avons mélangé tous les styles sans règles.

– Durant la Révolution française on a déjà des prémices des mouvements punk et new-wave (et même gothique, etc.). Par exemple, durant la période 1789 – 1791, on appelait « noirs » de jeunes personnes, souvent issues de l’aristocratie, s’habillant en noir afin de manifester leur mécontentement face à la Révolution. Cela devint une véritable mode que l’on retrouve même portraiturée dans la revue de mode de l’époque Journal de la mode et du goût, ou Amusements du salon et de la toilette ! Par la suite, à partir de vers 1795, certaines jeunes femmes (les merveilleuses) se firent couper les cheveux comme on le faisait pour les guillotinés, dans des coupes « en hérisson » ou « à la victime » qui ressemblent beaucoup à certaines des punks. Surtout que souvent ces merveilleuses se mettaient autour de la poitrine une chaîne. Dans tout cela il y avait les expressions d’un certain désarroi, d’un no future et d’une rébellion. En même temps, les sans-culottes s’habillaient comme le peuple, même s’ils n’en étaient pas toujours issus, et manifestaient une énergie libertaire aussi très proche du punk. Pourtant, nous sommes là face à deux opposés. Selon toi, qu’est-ce qui lie tous les mouvements de mode, même les plus opposés ?

– Pourquoi on sort un jour dans la rue avec le trench de sa mère, un pantalon fait avec du scotch et des sacs poubelles, un vieux réveil autour du cou et les cheveux coupés avec des ciseaux à bouts ronds, en sachant qu’on va se faire mater, agresser dans le RER, refouler des bars ? Au départ pour se mettre à la marge, se démarquer des autres et ensuite rallier un groupe d’autres asociaux ahahah.

À partir du moment où le groupe est là on se crée des signes distinctifs, des règles, et ensuite les compromis arrivent, le style commence à se diffuser aux autres pas forcement au fait de tous les usages, et ça devient une mode.

Ce qui lie ces mouvements est le besoin de se démarquer et de façon contradictoire de faire partie d’un groupe. Après selon le lieu ou le hasard des rencontres on peut se retrouver dans des groupes opposés assez facilement.

– D’après toi, quels sont les mouvements marquant du XXe siècle, et ceux moins connus qui méritent d’être évoqués ?

– Les teddy boys, rockers, skinheads, mods, punks, psychos, goths pour les principaux avec tous les crossover et déclinaisons. Deux bandes intéressantes que j’ai découvertes récemment issues de fans de deux groupes de musique : Les juggalos sont les fans du groupe Insane Clown Posse et les turbojugend fans de Turbonegro, deux groupes très très festifs avec attitudes et codes vestimentaires choisis.

– Quels sont les mouvements d’avant le XXe siècle qui te parlent le plus ?

– J’aime bien les muscadins qui cultivaient un look très sophistiqué ainsi qu’une dose de provocation incroyablement dangereuse.

– Lors de notre entrevue, je t’ai demandé s’il existait, mis à part pour l’Angleterre et la France, d’autres mouvements de mode en Europe. Tu m’as cité comme exemple ceux du genre zazou en Allemagne, avec « les Edelweiss Pirates, Swing Kids, Navajos et le mouvement Rose Blanche. » En connais-tu d’autres ?

– Il doit sûrement y en avoir d’autres que je ne connais pas encore hélas.

– Personnellement, ce que je trouve intéressant dans les mouvements de mode, ce n’est pas le côté rebelle, mais le merveilleux, la fantaisie, la création, l’élégance, la liberté, la joie, le style, l’humour, l’invention de nouveaux rythmes jouissifs et la poésie inhérente à ces rythmes… Ces gandins sont des œuvres d’art totales, à part entière. Quand je croise dans la rue un aspect de petite-maîtresse ou de petit-maître, de ceux qu’on appelait « belles » ou « beaux », « merveilleuses » ou « merveilleux », cela m’apporte une profonde joie de vivre, comme une étincelle dans la nuit. Ce n’est pas grand-chose une étincelle, mais quand il fait nuit noire cela est d’un immense réconfort ! De ton côté, tu sembles principalement attiré par le style, l’énergie de rébellion et le caractère festif, joyeux et fantaisiste de ces mouvements… voire la dérision. Ai-je tort ? Qu’est-ce qui t’intéresse dans les mouvements du XXe siècle et d’aujourd’hui ?

– OUI, la fantaisie, l’originalité, la dérision mais aussi la beauté bien sûr comme tu le précises. Le jour ou j’ai vu les premiers rockeurs avec mes grands parents à la Foire du Trône, ils étaient là à zoner et poser leurs airs arrogants sur les gens, avec leurs blousons noirs en cuir et leurs cheveux gominés, je les ai trouvés simplement beaux et lumineux. À Londres j’ai eu ce genre de flash, un jour chez Boy sur King's Road : J’ai vu un punk tout bleu, vêtements bleus, crête bleue, visage et mains maquillés de bleu, le seul de son espèce à priori… la classe.

– Comment vois-tu le mouvement futur ?

– À l’heure actuelle, la mode et les styles passent de la rue aux boutiques en un temps record, et c’est pas facile d’assumer une différence visuelle à l’heure de l’uniformisation mondiale comme règle. La discrétion est de mise et, comme pour la musique, tout est recyclé. Je vois bien un mouvement qui assumerait le côté pollueur et virus de l’humanité. Un style qui aurait la pire empreinte carbone du monde ahahah !

– Ce n’est pas par exemple la voie qu’a suivie Loran de Bérurier Noir qui, pendant un temps, vivait avec sa compagne dans la nature, loin de tout, qui est végétarien, cultive son jardin et a fondé, il y a quelques années, un groupe de musique qui utilise des instruments de musique traditionnels et chante en breton. Personnellement, je rêve d’un mouvement de jeunes qui ne ferait pas usage d’instruments de musique utilisant l’électricité ni d'outils électroniques, dont la musique serait inécoutable sur internet (par exemple sur Youtube) ou dans de grands concerts, mais seulement en petits commités festifs, et qui jouerait avec l’élégance et l’originalité… complètement en dehors du système mondial. Du reste, cela existe peut-être déjà, sans que je le sache du fait du caractère ‘intime’ de ce mouvement. J’ai une autre question qui me turlupine : Comment appellerais-tu ces mouvements portés par chaque génération avec leurs propres rythmes ? Certains parlent de « rock », ce qui est réducteur, incluant surtout des mouvements anglo-saxons des XXe – XXIe siècles, mettant de côté des mouvements comme le rap ou la techno de même que tout ce qui précède le XXe siècle. D’autres appellent cela des « mouvements de mode » ou des « modes ». Je ne trouve aucune de ces appellations satisfaisantes, d’autant plus quand on fait remonter loin dans le temps cette succession, comme je le fais. Comment appellerais-tu cela ?

– Subculture ? J’aime bien l’expression « mouvement » ; c’est ce qui caractérise ceux que j’aime : Ils viennent essentiellement de la rue, de la déambulation, du cruising, de la frime. Même pour poser il faut sortir et se confronter aux autres. C’est ce mouvement qui me semble important.

– Le mot « subculture » me fait penser à celui d’« alternatif » qui a commencé à être utilisé avec le mouvement punk français je crois, dans les années 1980, ou peut-être avant avec les babas. Ce dernier est toujours en usage aujourd’hui, et même peut-être plus que jamais. Ce que j’apprécie dans ces styles, c’est qu’ils donnent la possibilité à chacun, quel que soit son niveau social, son genre d’intelligence, etc., de créer ses propres rythmes, son propre style. Tu me disais que, quand tu as commencé à fonder ton groupe, tu ne savais pas jouer de la guitare et que tu ne t’exerçais jamais à en jouer en dehors des répétitions et des concerts. Tu étais (et tu es sans doute toujours) punk, dans l’instant. Finalement, l’important c’était l’énergie, non ? Je trouve que c’est important de dire aux jeunes que, peu importe qui ils sont, d'où ils viennent, ce qu’ils sont capables de faire, etc., ils peuvent le faire, ils sont tous des héros, chacun en est un, chacun est maître de sa vie et de son destin, même si on pense ne pas être dans les normes sociales, on peut exister pleinement ! Es-tu d’accord ?

- Oui bien sûr, le côté Do it yourself est un des points fondateurs de ce qui est ma conception du punk et de l’art en général. La technique facilite la tâche, mais l’envie est plus importante et même si je suis une grosse feignasse, l’envie m’a poussé à réaliser divers trucs. Les idées et l’originalité sont nées du manque de technique et des erreurs. Il faut trouver des solutions et jamais se justifier ; continuer même si la majorité désapprouve, déteste ou ignore. Faire ce que l’on a envie de faire et pas de plan de carrière, pourquoi pas un business plan ou du crowdfunding ahaha. Il faut prendre des risques non calculés, sinon on fait de la déco ou de la musique d’ascenseur. Je ne parle pas d’originalité à tout prix mais juste d’ENVIE.

Dessins de Laurent ex Laurent
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La beauté de la machine… humaine ? & l'homme science !

J’avais vingt ans dans les années quatre-vingts, époque de la new-wave, de la musique industrielle, du second degré, du « je danse comme un robot », du désespoir de l’homme machine… C’est en 1982 qu’est sorti le film Blade Runner de Ridley Scott, adapté du roman de Philip K. Dick Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (titre original : Do Androids Dream of Electric Sheep ?, après le succès du film parfois réédité sous le titre Blade Runner). J’apprécie beaucoup l’esthétique de ce film, les styles qui s’y épanchent. C’est l’histoire d’un homme dont le travail est d’éliminer des « répliquants » rebelles, des machines répliques fidèles des êtres humains. Il tombe amoureux d’une répliquante qui ne sait pas qu’elle l’est, qui s’est construite, ou plutôt à qui on a donné, tout un monde avec sa mémoire, ses vieilles photographies, etc. L’être humain est-il autre chose qu’une sorte de machine ? Est-il possible d’être davantage ? Dans le film, on s’aperçoit finalement que le héros lui-même est un répliquant qui ne le sait pas non plus !

L’être humain est fragile. Il suffit de se sentir respirer, d’entendre battre son cœur. On ne peut vivre sans continuellement respirer, sans que le cœur batte, comme le tic-tac d’une horloge. Cette conscience porte à l’humilité et au respect de toutes les formes de vie portées par des rythmes qui tous sont d’une grande fragilité. De nos jours, on ressent même la fragilité de la terre toute entière sous les coups que lui donne l’homme. Je lisais dans un texte de Platon que par grand calme on peut entendre le bruit que fait la terre dans sa rotation. Difficile de pouvoir le faire aujourd’hui où, même en pleine nature, on entend des avions. On ne s’entend pas même respirer ; on n’entend même plus notre cœur battre du fait de notre affairement.

En France, on accordait beaucoup d’importance aux sciences, en particulier au siècle des Lumières. Ce pays fut la patrie d’un nombre considérable d’inventions jusqu’à la fin du XIXe siècle. La photographie et le cinéma en sont des exemples. L’Hexagone regorge encore de bibliothèques spécialisées, d’institutions culturelles, de musées… Il s’agit d’une véritable passion française pour la culture et les sciences. Des observateurs des XVIIIe et XIXe siècles le faisaient déjà remarquer, comme l'Anglaise Lady Morgan qui écrivait dans son Paris en 1829 et 1830, tome II publié en 1830 – 1831 : « Paris est devenu une grande université ; chaque quartier a ses écoles ; les jardins publics eux-mêmes sont des lieux d’étude ; et l’on pourrait diviser la société en professeurs et élèves ; en orateurs et auditeurs, en philosophes et disciples. » Louis Sébastien Mercier le disait aussi dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, ajoutant que de nombreux cercles scientifiques, sociétés, académies non seulement se formaient régulièrement mais avaient de très nombreux visiteurs. Il s'agissait d'une passion qui attirait même les femmes à la mode comme l'écrivait Lady Morgan : « Les Françaises joignent au talent de causer agréablement celui d’écouter avec la plus imperturbable patience. Cette réflexion m’a été particulièrement suggérée dans les nombreuses séances littéraires et scientifiques auxquelles je les vis assister. Pour moi, de telles réunions sont de purs objets de curiosité ; pour elles, ce sont des sujets d’intérêt profond. Je m’y rendais pour voir ce qu’étaient ces sortes d’assemblées ; elles y cherchaient de l’instruction par le moyen qui m’a toujours paru le plus fastidieux. Quand nous arrivâmes à la séance publique de la société Philotechnique qui se tenait dans l’une des salles dépendantes de l’Hôtel-de-Ville, je ne fus pas peu surprise d’y voir un grand nombre de chapeaux fleuris, mêlés aux têtes chauves, aux cheveux gris et aux autres formes symboliques du temps et de la sagesse. L’assemblée, très-nombreuse, était remarquable par la diversité des âges qui la composaient. Au fond de la belle salle oblongue, une sorte de théâtre était élevé où l’on avait placé le fauteuil du président, le pupitre des lecteurs, et des sièges de chaque côté pour les étrangers et les hôtes les plus distingués. Le corps de la salle, occupé par des banquettes, était rempli d’une foule mêlée et très-pressée. »

Les Petits-maîtres de la Mode

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L’art en broderie au Moyen-Âge

L’art en broderie au Moyen-Âge
L’art en broderie au Moyen-Âge

Tenture de la vie seigneuriale, La broderie, Pays-Bas du Sud, vers 1500. Tapisserie à fils de soie et de laine, 265 x 224 cm, Musée de Cluny, Cl. 2181, © RMN-Grand Palais (Musée de Cluny – Musée national du Moyen-Âge) / Michel Urtado.

L’art en broderie au Moyen-Âge est le titre de la nouvelle exposition du Musée de Cluny à Paris qui se déroule en ce moment et jusqu’au 20 janvier 2020. En parallèle, le Château d’Écouen, Musée national de la Renaissance, nous gratifie, jusqu’au 27 janvier 2020, d’une exposition complémentaire sur la broderie des XVIe et XVIIe siècles, intitulée La Renaissance en broderies.

Évidemment, le terme d’« art » n’est pas présent fortuitement : Au Moyen-Âge, et même pendant tout l’Ancien Régime, on considérait la broderie comme un art majeur. La France a excellé dans celui-ci jusqu’au terme du XVIIIe siècle et la fin de l’hégémonie de la vogue de l’habit dit ‘à la française’. Ce dernier comprenait le plus souvent des broderies. On brodait aussi des tapisseries dont certaines formaient un ensemble que l’on appelle « tenture ». La Tapisserie de Bayeux serait la tapisserie aux points d’aiguille (brodée) connue la plus ancienne. Elle est du XIe siècle, fait 70 m de long et narre l’invasion de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant.

On distingue les tapisseries brodées, de celles créées sur un métier à tisser comme c’est le cas pour la tenture dite de La Dame à la licorne, du début du XVIe siècle. L’exposition ne présente aucune tapisserie brodée mais des antependia (devants d’autels) et autres parements d’autels, des chasubles, des mitres, des chaussons liturgiques (et même un fragment de chausse), des parures d’aubes, des étoles, des orfrois, des chaperons, des panneaux, des aumônières, des bourses, des reliures, des galons et même un carapaçon de cheval et une coiffe ! Le Musée de Cluny possède 46 ‘numéros’, tous présents dans cette exposition, excepté un, cependant dans le catalogue qui est donc non seulement le catalogue de l’exposition mais aussi celui de la collection de broderies du musée. Autour de ces objets, d’autres proviennent de divers musées français et européens, dont certains complétant des fragments en la possession du musée de Cluny.

L’art en broderie au Moyen-Âge

Fragment d’un caparaçon de cheval. Angleterre, vers 1330-1340. Velours de soie rouge, support intermédiaire en taffetas de soie ; broderie : soies polychromes, filés or et argent (lames d’argent doré sur âme de soie et d’argent sur âme de lin), perles et cabochons de verre ; broderie en relief. 51 × 124 cm. Musée de Cluny, Cl. 20367 a. © RMN-Grand Palais (Musée de Cluny - Musée national du Moyen-Âge) / Michel Urtado.

La broderie est faite à l’aiguille, et se distingue des tissus parfois imagés produits sur des métiers comme les tissus brochés, etc. Elle nécessite un support, qui peut être de diverses matières (tissu, cuir, etc.), et par là ne se confond pas non plus avec d’autres travaux à l’aiguille de passementerie, comme la dentelle. Les fils sont de soie, d’or, d’argent ou de laine. Certains des fils en métal ne le sont que partiellement. Les diverses façons de travailler les tissus sont inouïes, ainsi que les différentes techniques. L’exposition commence par montrer quinze types de points parmi beaucoup d’autres ! Comme le dit la commissaire d’exposition, au Moyen Âge on a inventé une grande quantité de nouvelles techniques ! En cela, l’exhibition est très didactique et très complète. Elle se poursuit en nous montrant comment on les fabriquait, avec des outils d’époque et même des ouvrages du début du XVIe siècle contenant des modèles. On apprend un peu sur l’organisation de ces métiers ; comment les princes possédaient leurs brodeurs ; comment on fabriquait ces broderies, de quelle manière, avec quelles techniques, quels outils, quels matériaux… et cela même dans le cadre du reste de l’exposition où on retrouve des exemples en voie d’élaboration, avec le poncif, les emplacements laissés pour « la broderie de rapport », c’est-à-dire des éléments brodés à part et ajoutés ensuite à l’ensemble, etc.

Le gros de l’exposition donne des exemples de textiles brodés des principaux centres de production du bas Moyen-Âge, venant : d’Allemagne du Nord et du bassin de la Meuse des XIIe – XIVe siècles, de « l’opus anglicanum » des XIIe – XIVe siècles, de Paris et de la France des XIIIe – XVe siècles, de « l’opus florentinum » des XIVe – XVe siècles et d’autres germaniques et flamandes des XVe et début XVIe siècles. Il ne manque que la production espagnole, elle aussi de qualité, mais dont le Musée de Cluny ne possède aucun exemple.

L’exposition compare le travail des brodeurs à celui des peintres. Une partie de la tâche de ces derniers consistait parfois à fournir des cartons aux premiers, ainsi qu’à d’autres métiers (lissiers, peintres verriers, céramistes…). Le catalogue nous le dit : « De telles collaborations et une clientèle commune (l’Église et les grands) expliquent pourquoi ces divers métiers cohabitent fréquemment avec les peintres au sein d’une même corporation aux XIVe et XVe siècles. » Les enluminures, les portraitures et toutes sortes de représentations couvraient les éléments de la vie quotidienne médiévale, depuis le sol jusqu’au plafond, à l’intérieur et à l’extérieur des édifices, sur les habits, dans et sur les livres, sur la vaisselle, sur les meubles, etc. Le monde occidental est, depuis la haute Antiquité jusqu’à aujourd’hui, un monde de la représentation, et la photographie, le cinéma, la télévision et internet ne nous contrediront pas.

L’art en broderie au Moyen-Âge

Fragment d’aumônière : Fauconnier, France (Paris), vers 1340. Velours rouge coupé (fond) ; toile de lin et taffetas de soie léger rapportés ; broderie de soies polychromes et de filés or. 20,7 × 20,7 cm. Musée des Tissus de Lyon, MT30020.2. © Lyon, musée des Tissus et des arts décoratifs / Sylvain Pretto.

L’art en broderie au Moyen-Âge

Si la broderie était considérée comme un art à part entière, et des artistes de renom composaient des dessins lui étant destinés, comme Botticelli, c’était aussi un art en usage dans les familles plus pauvres, les textiles étant souvent fabriqués chez soi. On filait, tissait, tricotait, brodait, composait de la dentelle, etc., non seulement pour la famille mais aussi parfois pour la vente, ce qui constituait un complément de rémunération. Même si les exemples présentés et le plus souvent conservés appartiennent à de riches parures aristocratiques et surtout ecclésiastiques, et sont sans doute majoritairement des productions d’ateliers urbains, la broderie était en usage dans toutes les classes de la société médiévale. Le catalogue de l’exposition le précise dès le début : « Dans l’Occident médiéval, la broderie était omniprésente dans le quotidien des hommes et des femmes. D’or, d’argent et de soie, elle couvrait les murs et le mobilier des demeures princières, les habits des membres de la cour, les ornements liturgiques. On aurait tort toutefois de la croire réservée aux plus riches, car des broderies plus simples et moins onéreuses pouvaient aussi décorer les vêtements et accessoires des plus modestes, tandis que des lettres tracées au fil servaient à marquer le linge de tous. » Non seulement brodeuses et brodeurs professionnels pratiquaient cette discipline dans le cadre d’ateliers, mais les travaux à l’aiguille s’inscrivaient aussi parmi les disciplines enseignées aux jeunes femmes, ce qui était encore le cas dans la première moitié du XXe siècle en France.

De nos jours encore, la broderie reste très en usage. Lorsque j’ai créé mon blog, en 2007, j’ai été très surpris de constater qu’il existait une grande quantité de blogs consacrés à la broderie et autres travaux d’aiguille, ainsi que de multiples sites et forums où s’échangeaient des astuces, techniques, poncifs, etc. Je crois me rappeler qu’à l’époque, chez mon hébergeur, le nombre de ces blogs et celui de leurs visiteurs dépassaient ceux de tous les autres genres. Cela m’avait marqué, car je me suis alors dit que c’était un art qui se cachait, n’ayant jamais vu personne broder dans le métro, sur un banc public ou même à la plage !

La broderie pouvait être très luxueuse. La soie, l’or et l’argent apportaient des reflets avec lesquels les artistes jouaient. Les couleurs utilisées pour les fils et les supports étaient parfois très précieux. Le temps mis à la réalisation de ces œuvres ajoutait à leur valeur. On aditionnait des perles, des pierres précieuses (cabochons…), de la verroterie, des émaux, etc. Sans doute utilisait-on aussi d’autres éléments comme des clinquants, des chamarres, des paillettes et autres affiquets, comme on le faisait au XVIIIe siècle (voir l’exemple à la fin de cet article).

Comme on le constate sur certaines des images de cet article, au Moyen Âge les broderies se retrouvaient sur tous les tissus : d’ameublement, vêtements… Cependant, les exemples de textiles médiévaux sont rares, ce qui rend cette exposition d’autant plus attrayante. Surtout qu’ils sont très fragiles, et que pour trois mois d’exposition il faut compter trois années de mise à l’abri dans le noir. Certaines couleurs ont passé, et c’est dommage ; mais l’exposition présente de très beaux exemples, notamment parisiens, avec des dégradés de couleurs magnifiques rendus par la technique du point fendu… il me semble… mais je ne suis pas spécialiste… On mettait au point des couleurs d’une très grande tenue et très belles. J’avais déjà remarqué cela dans la tenture de La Dame à la licorne, où les couleurs des restaurations du XIXe siècle ont beaucoup ternies avec le temps, alors que celles originelles, du XVIe siècle, restent encore très vives aujourd’hui. Dans cet article, la seconde photographie et celle tout en bas à gauche montrent chacune un ensemble, et on constate que la restauration du XIXe siècle en bas de chaque tapisserie est devenue beaucoup plus claire que le reste. Ceci dit, cette tenture est exposée constamment, sans tenir compte des trois mois / trois ans dont j’ai parlé, ce qui doit sans doute poser des problèmes de conservation.

Si cette exposition n’occupe pas un grand espace, le frigidarium, là où se trouve le fameux pilier des nautes, elle reste un grand évènement. Et pour finir, j’ai lu par hasard quelques heures avant la présentation de l’exposition deux rondeaux de Charles d’Orléans (1394 – 1465) sur les merciers (je suis dans une période de lecture de poésies médiévales et du XVIe siècle en ancien français et en latin). Ceux-ci vendaient divers produits de mode, dont certains brodés, comme de la broderie de rapport, des galons brodés, des aumônières, des bourses elles aussi brodées, etc. Ici, il s’agit d’un « petit mercier » ambulant ne vendant que des breloques (on dit alors mirlifiques ou oberliques), mais je trouve ces poèmes charmants, comme du reste toute l’œuvre de cet auteur. Certains merciers vendaient des produits de luxe, d’autres ne proposaient que de menus dorelots… des fanfreluches… des colifichets… Dans le premier rondeau, le poète dit que ce que possède le petit mercier ambulant, dans son panier, ne vaut rien : ce ne sont que des breloques ; et que ce n'est pas la peine de faire comme s'il s'agissait de reliques. Il lui demande cependant de déployer le contenu de son panier, afin de voir s'il peut trouver quelques bagues d'un peu plus de valeur. Le second rondeau est la réponse du petit mercier, qui demande que l'on ne blâme pas son métier, ajoutant qu'il gagne sa vie modestement, sou après sou, et qu'il perd de l'argent à écouter le poète.

« LE PETIT MERCIER

Rien ne valent ses mirlifiques
Et ses menues oberliques :
D’où venez-vous petit mercier ?
Gueres ne vault vostre mestier,
Se me semble, ne voz pratiques.

Chier les tenez comme reliques ;
Les voulez-vous mettre en chroniques ?
Vous n'y gaignerez ung denier.
Rien ne valent ses mirlifiques
Et ses menues oberliques,
D’où venez-vous petit mercier ?

En plusieurs lieux sont trop publiques ;
Et pour ce, sans faire repliques,
Desploiez tout vostre pannier,
Affin qu’on y puisse serchier
Quelques bagues plus autentiques .
Rien ne valent ses mirlifiques… »

« REPLIQUE DU PETIT MERCIER

Petit mercier, petit pannier !
Pourtant se je n'ay marchandise
Qui soit du tout à vostre guise,
Ne blasmez pour ce mon mestier !

Je gangne denier à denier ;
C’est loings du trésor de Venise :
Petit mercier ! petit pannier !
Pourtant se je n'ay marchandise !

Et tandis qu’il est jour ouvrier,
Le temps pers quant à vous devise ;
Je voys parfaire mon emprise
Et par my les rues crier :
“Petit mercier ! petit pannier !” »

Ci-dessous : photographies provenant du catalogue, avec une aumônière, une bourse (l'aumonière est en réalité à peu près deux fois plus grande que la bourse), des détails, une reliure et une coiffe (là aussi les proportions ne sont pas respectées).

L’art en broderie au Moyen-Âge
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Merveilleuses & merveilleux